Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les relations entre l’Iran et les Etats-Unis n’ont cessé de se tendre et de se dégrader.
Avec l’attaque de l’ambassade américaine à Bagdad par des miliciens pro-iraniens et surtout l’assassinat de Ghassem Soleimani, le chef de l’unité d’élite des gardiens de la révolution iraniens, les derniers épisodes de cette escalade entre l’Iran et les USA marquent un point de rupture.
En effet, le spectre d’un embrasement de la région n’est pas à exclure. Et l’actuelle confrontation irano-américaine mérite une mise en perspective plus large.
Stratégie hégémonique versus stratégie d’encerclement
Ainsi, dans une forme de continuité avec son histoire impériale, l’Iran contemporain développe une politique d’hégémonie régionale. Car, autoproclamé « défenseur de tous les musulmans » (article 152 de la constitution), le régime des mollahs a opté pour une politique d’influence ou d’hégémonie politique; plutôt que l’invasion des territoires (terrestres et maritimes) convoités.
A cet égard, la « Révolution islamique » devient un véritable produit idéologique d’exportation. Parallèlement, des alliances stratégiques se nouent. Une alliance stratégique a ainsi été scellée dès 1982 avec le régime syrien tenu par les chiites alaouites et les chiites libanais du Hezbollah.
Si cette volonté était admise par les Occidentaux à l’époque du Shah. Et ce, lorsque l’Iran était promu par les États-Unis « gendarme du Moyen Orient », en vue de préserver l’exploitation des gisements pétrolifères de la région. Aujourd’hui cette volonté de puissance et d’influence est perçue comme une menace stratégique par ses voisins du Moyen-Orient et leurs alliés occidentaux depuis la Révolution islamique (en 1979). Celle-ci marque une rupture historique, y compris avec le monde occidental, en général, et avec les Etats-Unis.
Outre le fait d’avoir perdu un précieux allié dans la région, les Etats-Unis associent la Révolution islamique à l’affront que représente la crise des otages de leur ambassade (novembre 1979-janvier 1981).
Alors que les États-Unis sont soutenus par les monarchies sunnites du Golfe et par l’Arabie saoudite en particulier. Lesquelles sont fragilisées par la présence de fortes minorités chiites en leur sein (communauté majoritaire à Bahreïn).
De ce fait, les États-Unis ont déployé une stratégie d’encerclement et d’isolement de l’Iran. En plus de l’installation et du renforcement progressif de bases militaires, de l’Arabie saoudite à l’Afghanistan, en passant par le Qatar et les Emirats arabes unis. D’ailleurs, ces pays arabes se sont regroupés au sein du Conseil de coopération du Golfe.
Iran : l’arc chiite tant redouté
Afin de briser le « bloc sunnite », l’Iran tente de se faire le nouveau porte-drapeau de la « cause palestinienne », en l’islamisant et en la « désarabisant ». Tentative qui a causé des tensions diplomatiques avec Israël et s’est traduite par un soutien matériel et financier aux islamistes sunnites du Hamas (au pouvoir à Gaza).
Surtout, la chute du régime de Saddam Hussein a permis à la majorité chiite de s’imposer au sein du nouvel appareil d’État irakien. Par une ruse de l’histoire, l’intervention américaine en 2003 a renforcé l’avènement d’un « arc chiite ». Il va des Hazaras d’Afghanistan à la minorité chiite présente en Arabie Saoudite. Cet arc tant redouté par les régimes sunnites de la région.
Par conséquent, l’enjeu est à la fois stratégique et symbolique. Ce qui se joue entre chiites et sunnites, Arabes et Perses, c’est le « leadership islamique ».
La centralité de l’Iran dans le jeu régional s’est donc trouvée confortée. De facto, la République islamique d’Iran est un acteur clé de l’ensemble des crises qui jalonnent la région et dans lesquelles les pays occidentaux sont peu ou prou impliqués.
Que ce soit en Irak, en Afghanistan, en Syrie ou au Liban- autant d’Etats au bord de l’implosion-, les chancelleries occidentales auraient intérêt à initier des processus de règlement incluant des puissances régionales. Avec au premier chef l’Iran qui détient une influence déterminante.
La centralité du dossier nucléaire
Cette compétition explique l’opposition radicale des pays du Golfe au « programme nucléaire iranien »… A l’instar d’Israël et des Occidentaux. Tous soupçonnent l’Iran de vouloir se doter de l’arme nucléaire sous couvert d’un programme d’énergie civile, ce que Téhéran dément.
Si la question du nucléaire- civil et militaire- en Iran remonte à l’époque du Shah, la question de l’arme atomique ne refait surface qu’avec la première guerre du Golfe (1980-1988). Conflit au cours duquel l’Iran a dû faire face à l’utilisation des armes chimiques par le régime de Saddam Hussein. Régime soutenu à l’époque par l’Occident et les monarchies du Golfe.
En cela, le dossier nucléaire iranien a aussi pour toile de fond la guerre sourde- ou presque, comme l’atteste le conflit syrien- à laquelle se livrent les wahhabites sunnites et un « bloc chiite », dont l’Iran serait le centre de gravité.
Puis, au cours des années 2000, la relance du programme nucléaire iranien provoque des frictions avec les pays occidentaux. Tensions qui culminent sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad.
Alors, le déclic dans cette discussion fermée s’amorce dans un premier temps par le Guide Suprême iranien Ali Khamenei. Puisqu’il dit « ne pas s’opposer à un dialogue avec Washington ».
Ensuite, l’élection présidentielle de l’iranien Hassan Rohani et de l’américain Barack Obama a ouvert la voie à la signature, le 14 juillet 2015, d’un accord. Il visait à limiter le programme nucléaire de Téhéran et à éviter la prolifération nucléaire dans une région hautement instable.
Trump et le retrait de l’accord de Vienne
Mais, des efforts diplomatiques réduits à néant- ou presque- par le nouvel hôte de la Maison Blanche. En effet, le 8 mai 2018, il annonçait le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne. De même que le « niveau le plus élevé de sanctions économiques possibles » contre l’Iran.
Cependant que les autres signataires déploraient la décision du président Donald Trump. Il s’agissait en l’occurrence des pays du P5+1. A savoir, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies: les États-Unis; la Russie; la Chine; la France; et le Royaume-Uni; auxquels s’ajoute l’Allemagne. Ainsi que l’Union européenne et l’Iran. En réaction, l’Iran décide de ne plus respecter l’accord de Vienne.
Et en assassinant le général iranien Ghassem Soleimani, les Etats-Unis ont sans doute définitivement achevé l’accord de 2015. L’Iran devrait réagir via la réactivation d’installations interdites. Ou encore le franchissement de nouveaux seuils d’enrichissement d’uranium.
Enfin, une escalade qui risque aussi de prendre une teneur plus militaire et violente. L’heure ne semble plus à la diplomatie. Le cycle des représailles est ouvert, sans véritable perspective politique réelle.