Juste quelques heures après le vote contre le gouvernement proposé par Habib Jemli, Rached Ghannouchi a atterri en Turquie où l’attendait Recep Tayyip Erdogan. La chose était-elle à ce point urgente que le président de notre parlement abandonne tout et s’envole pour s’isoler à Istanbul avec le chef de l’Exécutif d’un pays étranger qu’un bon nombre de Tunisiens considèrent comme un danger pour leur pays ?
Il est normal que des présidents de parlements se rendent en visite à l’étranger. Mais cela se fait dans les règles de l’art. En toute logique, un président de parlement qui se rend à l’étranger, il le fait à la tête d’une délégation parlementaire et l’accueil se fait par leurs homologues du pays hôte. C’est comme ça que les choses se passent dans les pays qui se respectent.
En fait, nous nous distinguons depuis 9 ans par notre singularité, et donc il n’y a pas lieu de s’étonner du comportement du président du parlement tunisien, qui est en même temps le président du parti islamiste.
Depuis qu’il a émergé sur la scène politique tunisienne comme le personnage le plus influent et le plus manipulateur, Ghannouchi se comporte à visage couvert. Il ne s’affiche pas comme tel pour faire ce qu’il veut, mais tire les ficelles de là où il est pour arriver à ses fins. Cette pratique qui dure depuis 9 ans a fini par affecter gravement la psychologie du chef islamiste qui semble atteint la folie des grandeurs. Il se croit le plus fort et n’éprouve pas le besoin de se concerter avec les responsables officiels du pays, surtout quand le sujet a trait aux relations avec la Turquie.
Non respect et condescendance
Le fait qu’il parte à un moment très inopportun pour rencontrer un chef d’Etat étranger sans concertation aucune ni avec le président de la république, ni avec le ministère des Affaires étrangères, prouvent le non respect et la condescendance même avec lesquels il traite la classe politique du pays.
L’incroyable célérité avec laquelle il s’est rendu à l’invitation ou à la convocation d’Erdogan laisse perplexe. On sait que les islamistes ont une loyauté qui va au-delà du cadre national. (Leur idéologue Saied Qotb considérait l’Egypte son pays comme « une poignée de terre nauséabonde »). C’est leur problème tant qu’ils n’assument aucune responsabilité nationale et n’exercent aucune fonction représentative.
Ce n’est pas le cas de Ghannouchi qui non seulement est un représentant du peuple, mais a tout fait pour se faire élire président du parlement. En tant que tel, il n’a aucun droit d’aller de son propre chef et sans concertation aucune avec les autres branches du pouvoir discuter avec un chef d’Etat étranger.
C’est d’autant plus grave que le président turc est loin d’être animé des meilleures intentions à l’égard de notre pays où l’on vient de découvrir des caches d’armes ‘’Made in Turkey’’. C’est d’autant plus inquiétant que personne ne croit que Ghannouchi, en présence de son ami Erdogan, gardera pour lui les secrets relatifs à notre sécurité nationale. Car, n’oublions pas que, en tant que président du parlement, il assiste à toutes les réunions du Conseil de sécurité nationale et connait tous les secrets du pays.
Déclin de l’islam politique
Evidemment, nous n’avons eu droit à aucune conférence de presse après la réunion des deux chefs islamistes tunisien et turc. Nous n’avons eu droit à aucun communiqué pour nous expliquer le contenu de leur tête-à-tête. Mais est-ce vraiment difficile à deviner ? Ils ont dû parler du sujet qui leur donne à tous les deux des insomnies : les échecs que ne cesse d’accumuler l’islam politique. Echecs contre lesquels l’engagement massif turc auprès des groupes armés terroristes sur les fronts irakien, syrien et libyen n’a servi à rien, sinon à entacher gravement la réputation de la Turquie dans le monde.
Ils ont dû parler aussi de l’échec de l’islam politique dans leurs pays respectifs. La popularité du parti islamiste d’Erdogan en Turquie se réduit comme une peau de chagrin. Dans les dernières élections législatives, il a perdu la principale ville du pays, Istanbul, avec ses 15 millions d’habitants au profit de l’opposition laïque. Et bien qu’il eût contesté les résultats et imposé un nouveau scrutin, la perte d’Istanbul par l’AKP fut confirmée de manière plus éclatante encore.
De même, les dernières élections en Tunisie ont confirmé la tendance du déclin de l’islam politique dont le représentant a échoué lamentablement à former un gouvernement. Cela pourrait ouvrir la voie à l’expulsion d’Ennahdha des sphères du pouvoir pour la première fois depuis 2011.
En outre, il n’est pas exclu que les discussions des deux hommes aient porté sur le moyen d’arrimer la Tunisie, secrètement ou ouvertement, à l’offensive turque contre les forces du maréchal Haftar.
Quoiqu’il en soit, compte tenu de ses liens étroits avec la Turquie et avec la nébuleuse islamiste dans le monde en général, Ghannouchi est la personnalité politique la moins appropriée pour occuper le poste de président du parlement. Abir Moussi est loin d’être la seule à penser que son éviction de cette fonction est une urgence nationale.