Il est avéré que la direction des affaires publiques, même en temps de crise, ne suffit pas à faire d’un politicien un homme d’État. Pour accorder ce rare statut à un homme public, il faut qu’il fasse ses preuves et qu’il ait pu transformé, en l’améliorant, le cadre de la vie économique et sociale de son peuple ou qu’il ait résolu une grave crise à un moment critique de l’Histoire de son pays.
En Tunisie, nous sommes à la recherche de celles et ceux qui vont conjuguer leurs efforts et leur savoir faire. Et ce, pour sortir le pays de la nasse, autour d’un homme de la situation : un chef du gouvernement.
Plusieurs noms circulent actuellement sur le choix de la personnalité qui aura la lourde responsabilité de diriger le gouvernement dans une période très difficile.
La seule petite consolation que nous avons pour le moment est le trop-plein de candidats. Ceux-ci peuvent former, en les combinant, au moins deux gouvernements ! Le risque serait un trop-plein de vide !
Les partis politiques et groupes parlementaires ont remis au chef de l’État les noms des candidats. Et cela, « en vue de charger la personnalité la mieux à même d’y parvenir de former un Gouvernement, dans un délai maximum d’un mois » (Article 89).
Quelques noms fiables sortent du lot
Le président de la République désignera lundi 20 janvier 2020 le prochain chef de Gouvernement. Les plus cités sont ceux de Fadhel Abdelkefi et Hakim Ben Hammouda. Deux grandes pointures dans leur domaine.
Fadhel Abdelkefi a été cité par presque tous les partis. Tous les observateurs se rappellent que son nom a déjà été cité pour remplacer Youssef Chahed en 2017. Ceci lorsque l’ancien président Béji Caïd Essebsi, agacé par les appétences de son ex-poulain a commencé à manœuvrer pour provoquer un changement de chef de Gouvernement. Et ceci, à travers la mise en place d’une feuille de route (Carthage 2) signée par tous les partenaires politiques et sociaux.
Le gouvernement d’unité nationale dirigée par Youssef Chahed était fragilisé par une série de crises. Celles qui conduisaient au limogeage de plusieurs ministres. Ce dernier avait compris que la procédure lancée par l’ex-chef de l’État était destinée à l’éjecter. Il s’est cuirassé derrière Ennahdha.
A la même période, comme par enchantement, de fausses accusations calomnieuses ont commencé à être propagées par les réseaux sociaux contre Fadhel Abdelkefi. A lors ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale (depuis le 27 août 2016) et également ministre des Finances par intérim (le 30 avril 2017).
Le ministre finira par découvrir qu’un jugement avait été prononcé à son encontre par contumace en première instance… en 2014 (!), en tant que représentant légal de Tunisie Valeurs.
Il avait pris les devants en faisant opposition au verdict et en exerçant ses droits de recours. Le 18 août 2017, il démissionne de ses deux fonctions. Le 5 mars 2019, la Cour de cassation rend public un arrêt mettant fin d’une manière définitive à toute poursuite et à toute condamnation relative au procès intenté en 2014.
L’homme est finalement blanchi. Il est vrai que le sentiment d’injustice ne peut qu’éveiller notre conscience morale. Il semble que cet homme honnête, d’une grande force de conviction a été injustement traité dans une atmosphère délétère qui caractérise la vie politique en Tunisie. Lui confier la tâche de former un gouvernement pour redresser la situation économique et sociale est un pari à tenter avec la perspective qu’il réussisse là où d’autres ont échoué.
Hakim Ben Hammouda pour sa part a été ministre des Finances entre janvier 2014 et février 2015 dans le Gouvernement de Mehdi Jomaa. Une période charnière assez courte pour apprécier à leur juste valeur les qualités et les réalisations de l’homme. Il est l’auteur ou coauteur de nombreux rapports d’expertises économiques, plus d’une vingtaine d’ouvrages dont le dernier : Sortir du désenchantement : des voies pour renouveler le contrat social tunisien, (Tunis, Nirvana, 2019).
Les citoyens retiennent leur souffle
L’un ou l’autre héritera de nombreux dossiers « brûlants », qu’il est encore urgent et possible de corriger aujourd’hui. Tout le monde attend que le prochain chef de gouvernement et son équipe aillent au charbon. Qu’ils affrontent la conjoncture actuelle et qu’ils préparent un nouveau programme de restructuration, de redynamisation de l’investissement et de stimulation de l’exportation. Et ce, afin de briser le cercle vicieux de la dérive et amorcer la croissance. Il s’agit aussi de reconstruire l’État, de rassembler les Tunisiens autour d’un projet. Des qualités essentiels face à une crise majeure de société.
La Tunisie actuelle est désorientée comme elle ne l’a jamais été, elle n’a pas besoin d’agitateurs médiatiques ni d’affairistes – d’ailleurs, elle en regorge. Elle a besoin d’Hommes d’État capables de piloter une équipe, d’indiquer le parcours et de réussir.
L’énigme demeure concernant le président de la République. Le repli sur soi dans le rejet de la communication sera sans doute abandonné temporairement !
Dans ce contexte, il constitue un lieu subtil où peuvent s’afficher le pouvoir sur le rythme et le temps, le rapport à l’autre et aux circonstances, et l’image de soi.
Comment agira-t-il ? Va-t-il épargner aux Tunisiens plus de complications et de perte de temps. Tranchera-t-il rapidement dans le choix du chef de Gouvernement à partir de ce qui a été soumis. Ou sortira-t-il un vilain lapin de son chapeau comme on dit, ou alors lèvera-t-il un lièvre ?
Aujourd’hui, tous les regards sont tournés vers Carthage et les citoyens retiennent leur souffle. Que la sagesse et l’intérêt national prime sur les considérations spéculatives et personnelles.