L’agence de notation Moody’s donne une vue d’ensemble de cinq banques tunisiennes. Et ce, dans un rapport publié le 9 décembre 2019, sur les perspectives des banques africaines en 2020. Il s’agit de: Amen Bank; Arab Tunisian Bank (ATB); la Banque de Tunisie (BT); la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT); et la Société Tunisienne des Banques (STB).
Ainsi, ces cinq principales banques de la place tunisienne rencontreront de grands défis. La révision de leur note demeure « conditionnée par une éventuelle stabilisation de la perspective négative actuellement assignée à la notation du gouvernement tunisien ». C’est ce que confirme Moody’s.
A cet égard, Badis Shubailat répond aux questions que l’agence TAP lui a adressées (par mail). L’analyste au sein de l’agence de notation américaine revient sur l’évaluation faite dans ce rapport. Elle concerne le contexte dans lequel évoluent les banques tunisiennes notées. Ainsi que leurs perspectives et les conditions d’une éventuelle révision de leur notation.
TAP: Quelle est votre évaluation générale de la situation des cinq banques tunisiennes notées?
Moody’s: Notre vue d’ensemble des cinq banques tunisiennes notées est d’abord calibrée par l’environnement opérationnel dans lequel elles évoluent. Ce dernier continue d’être affecté par un contexte macroéconomique en berne. En effet, la croissance économique, étant en deçà des niveaux pre-2011, reste largement insuffisante pour pouvoir résorber un taux de chômage important. Particulièrement chez les jeunes, alors que l’endettement du pays se situe à un niveau élevé.
D’autre part, le déficit courant restant large, le risque latent d’une dépréciation du Dinar en cas de choc externe maintient une tension inflationniste. Ce qui explique que l’inflation reste à un niveau élevé, même si la politique restrictive adoptée par la Banque centrale aide à en supprimer la progression.
La notation négative du gouvernement a une influence sur celle des banques
Par ailleurs, après une période électorale chargée en 2019, la situation politique reste incertaine en 2020. Avec un paysage parlementaire fragmenté qui rend difficile la mise en place d’un gouvernement. Et donc la mise en œuvre de réformes structurelles.
Ces dynamiques pèsent nécessairement sur les profils crédit des banques tunisiennes. Principalement, à travers la qualité des actifs qui reste faible. Et une profitabilité sous pression étant donné que la croissance du crédit décélère et que les efforts de provisionnement restent soutenus.
D’autre part, la capacité d’absorption de pertes des banques est limitée. Au vu des bas niveaux de capitalisation et de couverture des créances douteuses. Alors que la liquidité continue d’être serrée, malgré la baisse du volume global de refinancement. Et ce, auprès de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Les récentes mesures prises par l’Institut d’émission (plafonnement du ratio de transformation et durcissement de l’accès au refinancement BCT) et sa politique monétaire restrictive indiquent une volonté de réduire la dépendance des banques au refinancement. Cependant, ceci ne neutralisera pas le risque de refinancement tant qu’une croissance soutenue des dépôts n’est pas réalisée.
Enfin, les déséquilibres économiques persistants reflétés dans l’actuelle perspective négative de la notation du gouvernement tunisien indiquent aussi un affaiblissement de la capacité de l’Etat à soutenir les banques en cas de besoin.
TAP: Quelle est, d’après vous, la composante de la notation qui a le plus influencé votre évaluation « perspective négative » des cinq banques tunisiennes? Est-ce que cela ouvre la voie à une prochaine révision à la baisse de leur notation?
Moody’s: L’élément le plus influent dans l’actuelle « perspective négative » de la notation des cinq banques tunisiennes est le fait que la notation du gouvernement tunisien est elle-même en perspective négative.
Etant donné que les cinq banques bénéficient toutes du soutien gouvernemental dans leurs architectures de notations respectives, un éventuel déclassement de la note souveraine impacterait mécaniquement la notation des banques en question.
Par ailleurs, cette « perspective négative » reflète aussi un déficit courant élevé- avec des réserves de change n’ayant que récemment accusé une hausse – maintenant un risque de dépréciation du dinar latent en cas de choc externe qui amènerait des répercussions néfastes sur l’environnement opérationnel des banques pouvant impacter leurs performances financières et profils de notation intrinsèques.
TAP: Parmi les cinq banques, y en a-t-il une qui pourrait servir « d’exemple à suivre » pour les autres, en matière de réformes engagées, en vue d’une révision à la hausse de sa notation?
N’ayant pas d’opérations significatives à l’étranger dans des environnements plus bénins que celui de la Tunisie, les banques souffrent d’un manque de diversification géographique qui rend leurs performances principalement tributaires de la santé de l’économie du pays.
Etant donné que l’environnement opérationnel reste des plus difficiles, la situation économique actuelle agit, de ce fait, comme un handicap systémique pour la totalité du secteur bancaire tunisien. Et ce contexte n’offre donc que peu d’opportunités de différenciation parmi les acteurs de la place.
TAP: Est-ce qu’il y aura une possibilité de réviser à la hausse la notation actuelle des banques tunisiennes de « négative » à « stable » et sous quelles conditions?
Moody’s: Le changement de perspective de négatif à stable sur la notation des cinq banques tunisiennes est conditionné par une éventuelle stabilisation de la perspective négative actuellement assignée à la notation du gouvernement tunisien.
A cet effet, une réduction soutenue des déficits jumeaux de l’économie tunisienne (déficit public et de la balance courante) accompagnée d’une augmentation graduelle des réserves de change soutiendraient une potentielle stabilisation de la perspective sur la note souveraine. Cela permettrait à la Tunisie d’être mieux armée dans une période où le financement externe devient plus difficile en conjonction avec un prix du baril du pétrole variant entre 50 et $70.
TAP: Comment les perspectives des cinq banques tunisiennes pourraient-elles influencer votre prochaine évaluation de la dette souveraine de l’Etat? Sachant que le volume de la dette publique est estimé à 74% du PIB en 2020. Et que les trois quarts de cette dette publique proviennent de l’endettement extérieur.
Moody’s: La part du financement de la dette de l’Etat par le système bancaire local reste minoritaire. La dette tunisienne étant principalement libellée en devises, puisque financée par des créanciers et bailleurs de fonds internationaux. Dans ce cas de figure, les aspects liés à la situation externe ont un impact plus conséquent sur la notation de l’Etat.
Par ailleurs, au-delà du système bancaire et malgré la recapitalisation des banques publiques en 2015, le gouvernement reste, également, exposé à des passifs éventuels significatifs. Ils émanent de garanties étatiques sur les dettes d’entreprises publiques non-performantes que l’on estime à 13% du PIB.
Avec TAP