L’ONG Transparency international publiait (le 23 janvier dernier) son rapport 2019 sur l’indice de perception de la corruption (IPC).
Ainsi, parmi les pays méditerranéens, la Tunisie stagne autour de la 74e place… Et ce, en dépit de la « Révolution », de la nouvelle République, de nouvelles législations, et d’une Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC). La Tunisie fait partie de ces pays qui « ne montrent que peu ou pas de signes d’amélioration dans la lutte contre la corruption ». C’est ce que note le rapport. Pourtant, la promesse républicaine de la Constitution ne sera tenue que si ce fléau recule véritablement. Un défi structurel toujours ancré dans le quotidien des citoyens du pays.
Corruption et République
En effet, le phénomène de la corruption est multiforme, difficile à saisir. La corruption, l’argent sale est une notion aussi bien parlante que mal définie. Si l’on comprend aisément de quoi il s’agit, arriver à poser un cadre, à définir, est en revanche plus complexe.
Même si l’ampleur du phénomène de corruption est difficile à mesurer, il semble inhérent à toute société. Dans le cadre d’une République démocratique, la question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’elle heurte frontalement ses fondements. De quoi s’agit-il?
Si l’étymologie du mot renvoie à l’idée de « décomposition », la notion de corruption a pris une dimension morale. Elle qualifie la dégénérescence des mœurs civiques de la politique en général. Et le comportement des gouvernants de la cité qui usent de leurs fonctions publiques pour satisfaire des intérêts personnels, en particulier.
D’ailleurs, ces évocations trouvent leur origine dans la réflexion philosophique sur la cité idéale. De même que dans les sources de la décadence morale des cités de la Grèce antique et de la République romaine.
Car, les théories de la République ou de la démocratie chez les Anciens comme chez les Modernes mettaient l’accent sur l’importance et la diffusion des vertus- celle de l’homme de bien et/ou celle du citoyen- dans la cité. Suscitant une réflexion générale sur les fondements éthiques d’une cité libérée du fléau de la corruption.
Considérations philosophiques et analyse sociologique
Alors, cette cité idéale, vertueuse, repose selon Aristote sur une double exigence. D’une part, la poursuite d’une fin juste. Celle du bien commun. A travers la délibération (publique) des (aspirations et valeurs des) citoyens constitués en corps politique. Et dont la participation civique est constitutive de sa dimension humaine et morale (« une cité est vertueuse par le fait que les citoyens participant à la vie politique sont vertueux« ). D’autre part, une société dans laquelle le pouvoir politique n’est pas sous l’emprise des intérêts de certains. Mais dont l’exercice permet aux citoyens de participer (alternativement et à différentes fonctions) à l’exercice des responsabilités civiques.
A ce propos, les considérations philosophiques doivent ici se conjuguer avec une analyse sociologique.
Puisque divers modèles explicatifs du degré du phénomène de corruption et des réactions différenciées à l’égard de la probité ou de la corruption ont été identifiés. Ils sont particulièrement significatifs dans le cas tunisien:
- Absence, incomplétude ou défaillance des normes (concept d’anomie);
- Mais aussi des institutions (liens entre la nature des structures politiques/administratives étatiques ou locales et les différentes formes d’atteintes à la probité; imbrication, interdépendance et hybridation entre la délinquance politico-administrative, économique, financière, et le crime organisé. Entre pratiques licites et illicites, légitimes et illégitimes) susceptibles de contrôler la vie politique. Notamment en matière de financement de ses acteurs (élus, partis, etc.) et événements (élections, campagnes, etc.).
L’échec des instances nationales
Pourtant, des organismes ont mis en lumière un phénomène qui n’a pas disparu depuis, au contraire. Il s’agit de l’Instance vérité et dignité (IVD), puis de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC). Elles furent mises en place après la révolution de 2011 pour démanteler le système de corruption des clans « Trabelsi-Ben Ali » .
Cependant, le défi est immense pour la nouvelle « Instance de bonne gouvernance et de lutte contre corruption ». Car, malgré les discours officiels et quelques actions spectaculaires, les intérêts concernés ont su profiter de la confusion politique et de l’anémie de l’État. Et ce, pour reproduire et conforter leurs pratiques; y compris via l’intégration de la nouvelle classe politique. C’est ainsi que le phénomène perdure dans les marchés publics. Mais également dans l’accès à la fonction publique, pour les autorisations administratives.
De ce fait, cette instance nationale serait bien inspirée de suivre les recommandations de Transparency international pour relever le défi de la corruption. A savoir: gérer les conflits d’intérêts; contrôler le financement politique; renforcer l’intégrité électorale; réglementer les activités de lobbying; lutter contre les traitements préférentiels; donner le pouvoir aux citoyens; et renforcer les freins et les contrepoids.
Au final, un véritable programme d’action qui suppose d’abord de la volonté politique au sommet de l’Etat. C’est notamment à cette aune que sera jugé le nouvel exécutif tunisien.