Le choix de l’Algérie pour le premier voyage officiel à l’étranger du Président Kaïs Saïed s’inscrit dans une logique et une tradition historiques et politiques.
La rencontre, en Algérie, avec le Président Algérien, Abdelmadjid Tebboune, est destinée à conforter cette relation bilatérale privilégiée. Et ce, dans un contexte régional marqué par la montée des tensions en Libye. Une situation de crise qui rappelle que l’Algérie et la Tunisie sont liées, non seulement par une identité commune, mais aussi par des intérêts stratégiques communs.
Une identité commune
L’Algérie et la Tunisie forment le cœur du Maghreb et de l’Afrique du Nord. Tout en formant deux Etats souverains distincts, la mémoire collective des deux sociétés est jalonnée de marques de solidarité commune. En particulier durant la guerre d’indépendance algérienne. Et depuis la révolution tunisienne (croissance des séjours touristiques, aides financières, coopération sécuritaire …).
Leur identité commune est celle de berbères arabisés et islamisés, avec une histoire commune articulée autour de trois âges : celui des origines berbères, des Empires musulmans (y compris ottoman). Ou encore de la colonisation française.
Toutefois, après l’indépendance, contrairement à la Tunisie, les politiques d’arabisation (scolarisation intensive en arabe) menées ont suscité des mouvements de réaction identitaire (« Printemps berbère » en 1980, manifestations de 1988 et « Printemps Noir » en 2001), d’envergure nationale, systématiquement réprimés par les autorités centrales.
Notons qu’en Tunisie, depuis la révolution de 2011, la berbérité est devenue une question politique. Notamment sur fond de revendications d’égalité territoriale et sociale. Ainsi que de reconnaissance de la culture et de la langue tamazight.
Plus largement, l’accession à l’indépendance de ces États maghrébins a été jalonnée de crises et de conflits politiques qui ont mis en lumière les tensions internes agitant les mouvements d’indépendance. Les appareils d’État naissants sont mus par une idéologie nationaliste qui verse volontiers dans l’autoritarisme. L’application de modèles de développement d’inspiration socialiste échoue à endiguer une pauvreté et un chômage massifs.
Le tournant libéral des années 80. Cette libéralisation de l’économie permet l’émergence de classes moyennes, mais renforce les inégalités sociales et la corruption de l’ensemble du tissu social.
La montée en puissance de l’islamisme révèle donc l’échec de ces modes de gouvernement et de développement, mais aussi la volonté de redécouverte de l’identité musulmane d’une région plongée dans la mondialisation.
Défis communs
Les sociétés algérienne et tunisienne sont confrontées à des problèmes et défis communs, auxquels ils n’apportent pas forcément les mêmes réponses.
Après les indépendances nationales, l’explosion du taux de croissance de la population dans les années 60 et 70 succède à une transition démographique : baisse de la fécondité, recul de la mortalité (infantile en particulier) et augmentation de l’espérance de vie. Aussi, la proportion de personnes âgées croît-elle sensiblement.
Les populations du Maghreb restent néanmoins caractérisées par une très forte proportion de jeunes, de plus en plus scolarisés et diplômés. Or, ils subissent un chômage endémique. Et se voient offrir des emplois sous-qualifiés qui réduisent d’autant plus les chances d’insertion sociale (fonder une famille, acheter un logement, etc.).
Une situation inextricable qui nourrit une immigration continue. En Algérie, la paupérisation de la population autochtone du fait des spoliations coloniales et de la très forte croissance démographique entraîne l’exode rural. Ainsi que l’émigration dès la fin du XIXe siècle. Majoritairement Kabyles, des hommes jeunes fournissent en main d’œuvre la métropole ; là ils occupent des emplois non qualifiés dans l’agriculture et l’industrie.
Ils participent à la reconstruction du pays après la Libération. Les indépendances de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie n’interrompent pas le flux migratoire vers la France, au contraire.
Cependant, avec le choc pétrolier en 1973 et le développement du chômage de masse, les politiques migratoires s’inversent. Un choix renforcé par des dispositifs (nationaux et européens) de lutte contre l’immigration clandestine. Leur efficacité demeurera toute relative, tant que les jeunes maghrébins (y compris les libyens) dans l’Europe un Eldorado.
Des intérêts stratégiques communs
Les deux pays sont liés par un intérêt commun sur le plan sécuritaire. Celui-ci se traduit par une coopération très étroite dans la lutte contre les groupes terroristes à l’intérieur des frontières. Notamment en matière militaire et sur le plan du renseignement. Et ce, à travers la sécurisation des frontières communes et des frontières extérieures avec la Libye.
Du reste, les deux pays tentent de garder une position diplomatique « neutre ». Notamment par rapport à la crise politique interne du voisin libyen.
Une coopération sécuritaire qui contraste avec la faiblesse des échanges économiques et commerciaux. Ces échanges s’élèvent à près de 2% (élément symptomatique : les exportations algériennes vers la Tunisie se résument quasi-exclusivement au pétrole et au gaz, soit près de 95%).
Une situation qui traduit plus globalement l’échec de l’Union du Maghreb Arabe (UMA). L’intégration économique maghrébine devait se renforcer sur la base d’un marché commun. Un marché établi progressivement par la libre circulation des biens et des services. Ainsi que des capitaux et des hommes.
Ce marché commun devait être complété par la création d’une banque maghrébine d’investissement et des projets d’infrastructures pan-maghrébins.
Le projet UMA reste ainsi à réaliser dans la perspective de faire entrer le Maghreb dans le jeu de la mondialisation. Et ce, avec des objectifs aussi ambitieux que l’intégration économique des pays membres, l’augmentation des échanges et les investissements intra-communautaires. Ou encore le règlement des conflits internes, la promotion du développement de la région. Ainsi que l’amélioration du niveau de vie des populations.