Le modèle de développement en Tunisie ne crée plus de valeur ajoutée. C’est ce qu’affirme le spécialiste en économie de développement, Jameleddine Aouididi. Selon lui, il s’agit d’un modèle qui ne crée plus d’emploi stable. Et ce, étant donné qu’il se base, entre autres, sur la sous-traitance pour les entreprises non résidentes.
Dans une interview exclusive à l’Économiste Maghrébin, Jameleddine Aouididi cite un certain nombre d’anomalies de l’économie tunisienne. Il indique notamment que l’agriculture contribue à hauteur de 9,5% au PIB. Et ce, contrairement au tourisme qui ne participe au PIB qu’avec 5%. Cependant, il ne manque pas de relever une situation paradoxale. En se référant au rapport annuel de la Banque centrale de Tunisie 2018, le tourisme en général et l’hôtellerie en particulier reçoivent deux fois de plus de crédits bancaires.
Ainsi, il recommande une meilleure valorisation du secteur agricole et de revoir les mécanismes du tourisme tunisien. L’encours des crédits de 2018 est de l’ordre de 65 milliards de dinars. Le montant des crédits octroyés aux secteurs d’activité au cours de l’année 2018 a été de 6,028 milliards de dinars. Dont le secteur agricole qui ne bénéficie que de 2,745 milliards de dinars. Soit 4,2% de montant intégral. Il précise que plus de la moitié des crédits octroyés au secteur agricole cible les importateurs d’engins et de produits agricoles.
Il estime également que la majorité des entreprises offshore n’apportent pas beaucoup de valeur ajoutée. Alors qu’elles bénéficient de plusieurs incitations financières et fiscales. Et ce selon le rapport de la Banque Mondiale de 2014. D’après le même rapport, ces entreprises reçoivent 1 milliard de dinars annuellement du budget de l’Etat.
Aouididi : « La structure de la dette tunisienne est parmi les structures les plus dangereuses au monde »
Analysant le problème de l’endettement en Tunisie, Jameleddine Aouididi affirme que la structure de la dette tunisienne est « parmi les structures les plus dangereuses au monde ». D’ailleurs, la dette de la Tunisie est à 73% extérieure avec 45% pour l’Euro et 30 à 35% pour le dollar. Dans le même sillage, il affirme que la majorité de la dette dans plusieurs pays est une dette locale.
Par ailleurs, Jameleddine Aouididi considère que « le déficit commercial est structurel ». Contrairement au gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie qui estime qu’il est «conjoncturel». De ce fait, il considère que la sortie de la crise en Tunisie ne se fait que par la reprise de la valeur ajoutée.
D’ailleurs, Jameleddine Aouididi ne regarde pas d’un bon œil les accords de partenariat avec l’Union Européenne. « J’ai assisté aux négociations de l’accord de 1995. J’ai pressenti qu’il va causer un massacre et ça s’est perpétré. Surtout que la Tunisie n’a pas réalisé une étude préliminaire, continue-t-il. D’ailleurs en 1994, la Banque Mondiale a réalisé une étude avançant qu’en cas de signature de cet accord, la Tunisie perdrait 48% de son tissu industriel ».
Interpellé sur la situation politique, il rappelle que le Chef du gouvernement désigné a envoyé en sa qualité d’ancien ministre des finances la première lettre d’intention au FMI en 2013 cosignée avec le précédent Gouverneur de la BCT, dans laquelle il avait exprimé l’accord de son gouvernement pour l’application des directives exigées par le FMI y compris la privatisation des entreprises publiques stratégiques.. Et dont les répercussions étaient désastreuses selon lui. « Il n’a pas bien mesuré l’impact de cette décision qui était fatale et les résultats sont là », lance-t-il. Il s’agit d’une situation sociale à la dérive, plus d’endettement et de déséquilibre des finances publiques.
Selon lui, la question est de savoir si le Chef du gouvernement désigné s’est remis en cause ou pas. D’ailleurs, dans son programme, il n’a pas évoqué la rationalisation des importations.