Pour l’économie tunisienne, le weekend dernier était chargé en termes d’actualités macroéconomiques.
Les chiffres de l’économie tunisienne sont globalement bons. Ils se croisent avec ceux présentés par le Gouverneur lors de son audition par l’ARP. Il y a de quoi de rester optimiste malgré l’impasse politique.
Moody’s allège la pression
Le début était avec la bonne nouvelle de l’amélioration d’un cran de la note souveraine par Moody’s, passant de perspectives négatives à stables, tout en gardant le rating B2. Il s’agit du premier upgrade depuis des années. Bien que nous soyons toujours considérés comme Junk Bond, cette révision à la hausse nous soulage au moment où le pays se prépare à effectuer une sortie sur les marchés internationaux.
L’agence américaine a justifié sa position par la stabilisation de la balance de paiement et l’amélioration des niveaux d’endettement. Ces résultats ont été atteints grâce à la politique monétaire de la Banque Centrale qui a pu réduire la proportion de la dette publique à 72,5% du PIB en 2019 contre un pic de 77% en 2018. Le dinar s’est relativement stabilisé, réduisant les contraintes sur la balance des paiements.
Pour l’agence, la politique budgétaire devrait rester prudente en 2020, avec un déficit limité à 3% du PIB dans le viseur. Le pays cherche à réaliser une croissance de son économie de 2,7% en s’attaquant davantage à l’évasion fiscale, en diminuant les subventions (notamment celles énergétiques) et en restructurant les entreprises publiques.
Économie tunisienne : La croissance en manque de carburant
Cette progression est tombée quelques heures avant la publication des chiffres de la croissance, cette fois largement décevants. Pour l’ensemble de l’année 2019, le PIB a progressé de 1% seulement après un dernier trimestre quasi-blanc. En rythme annuel, la croissance était de 0,8%, mais en rythme séquentiel, elle n’a pas dépassé 0,1%.
Cette médiocre réalisation s’explique par la contre-performance de certains secteurs clés, à commencer par l’Industrie Manufacturière qui a signé un quatrième trimestre de baisse consécutive, conduisant à un déclin de 0,7% par rapport à 2018. L’année était mauvaise pour le Textile, Habillement et Cuir (-6,2%), les Industries Mécaniques et Electriques (-2,9%) et Chimiques (-1%). L’amélioration enregistrée par l’Industrie Agroalimentaire (+10,7%) et les Matériaux de Construction, Céramique et Verre (+3,2%) n’était pas suffisante pour terminer l’exercice sur une note positive.
La situation n’est pas meilleure pour les Industries Non Manufacturières qui restent sur cinq trimestres de baisses successives. Elles ont terminé l’année sur un recul de 1,8%, provenant essentiellement de l’Extraction de Pétrole et de Gaz Naturel (-8,1%).
Les autres secteurs ont relativement tiré leur épingle du jeu. Les Services Marchands ont progressé de 2,2% grâce aux Service d’Hôtellerie et de Restauration (+5,4%), les Services Financiers (+6,3%) et la Poste et Télécommunication ((2,5%). Le seul secteur qui a pâti est le Transport (-2,7%) après le recul d’activité de Tunisair et du fret maritime.
Pour les activités Non Marchandes, la croissance était de 1,6%, le double de celle enregistrée par l’Agriculture et Pêche. Néanmoins, il faut préciser que ce dernier a perdu 1,9% sur le quatrième trimestre.
Reprise simple mais difficile
Le redémarrage de l’économie n’est pas impossible pour Moody’s. Bien que nous ayons beaucoup perdu en termes de compétitivité, la Tunisie conserve des avantages clés : une diversification sectorielle et une main d’œuvre qualifiée. Néanmoins, l’exploitation de ces facteurs reste tributaire de réformes au profit de l’investissement, local et étranger.
A première vue, la formule s’avère simple. Le pays a même avancé dans le chantier législatif avec un arsenal de réglementation en faveur de la libéralisation de l’initiative économique. Et cela, sans parvenir à enclencher une vraie dynamique positive. Nous restons toujours une économie dont l’offre est inflexible, inélastique et fortement concentrée sur un principal client.
C’est ce que les chiffres du commerce extérieur ont prouvé. Il ne faut pas se réjouir de la réduction du déficit commercial à 970 millions de dinars en janvier 2020. Ce n’est que le premier mois de l’année. Il a coïncidé avec une forte activité d’exportation d’huile d’olive (159 millions de dinars) et avec une réduction de l’activité commerciale mondiale causée par le nCov 2019.
Qu’en est-il réellement du commerce extérieur ?
Les chiffres publiés par l’INS ont montré qu’il y a une baisse dans les exportations de -4,2% et qui concerne la majorité des secteurs. Cela reflète en partie l’amélioration du taux de change, mais même à prix constant, le signe négatif domine. A l’origine de cette tendance, nous retrouvons le secteur de l’énergie (-12,6%), le Textile, Habillement et Cuir (-6,1%), les Industries Mécaniques et Electriques (-3%).
La baisse de la production au niveau de ces industries clés est reproduite dans la diminution des importations. Ainsi en est-il des biens d’équipement (-24,8%), des matières premières et demi produits (-8,8%) et d’énergie (-8,9%). Le recul de la consommation est matérialisé par un repli notable de l’inflation. Il a conduit à moins d’achats de produits agricoles et alimentaires de base (-22,5%).
Le problème est la dépendance d’un seul client, l’Union Européenne qui a absorbé 73,4% de nos exportations au cours du mois de janvier. La croissance de la Zone Euro en 2019 ne dépasserait pas 1,2% selon les dernières estimations. Quant à 2020, le tableau est plutôt sombre avec la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis et les suites du Brexit. Nous allons donc sentir cette baisse tout au long de l’année, avec un effet plus clair lorsque cesseront les importations de l’huile d’olive.
Les objectifs de croissance de 2020 remis en question
Cette tendance a des conséquences. Avec une demande morose de nos clients, l’investissement va ralentir, indépendamment du cadre réglementaire et des avantages accordés. La pénétration de nouveaux marchés ne se réalise pas du jour au lendemain. Elle exige une logistique et une capacité d’adaptation que nous ne possédons pas.
Les résultats seront observés sur l’emploi. Les chiffres du dernier trimestre sont intéressants. Le taux de chômage est repassé sous la barre des 15% à 14,9%. Le nombre de demandeurs d’emploi s’est élevé à 623 900. L’économie tunisienne a pu créer, en net, 58 800 postes durant 2019, plus que le double de ce qui a été enregistré en 2018 (27 600). Pour les diplômés de l’enseignement supérieur, le taux de chômage est à son plus bas niveau depuis des années, soit 27,8%.
Toute cette performance est due à ce médiocre 1% de croissance ? La réponse est non. En fait, les emplois créés durant l’année N sont le résultat de la croissance de l’année N-1. Or, 2018 a été un exercice relativement bon, avec une hausse de 2,7% du PIB, et non 2,5% comme il a été auparavant annoncé. Ainsi, il est attendu que nous retrouvions le rythme de création de postes observé en 2018.
Goulot d’étranglement politique
Cerise sur le gâteau : un flou politique total. Même si le gouvernement passe, les équilibres inter-partis ne permettront pas une vraie marge de manœuvre pour le Chef du Gouvernement. Nous ne voyons pas comment l’ARP actuelle pourrait accepter des lois en faveur de plus d’IDE. Ou encore visant une vraie restructuration des entreprises publiques, considérées comme des joyaux par un bon nombre d’acteurs.
Et même si tout cela se concrétise, est-ce que les syndicats vont l’accepter ? Moody’s a insisté sur le fait que la dynamique d’assainissement budgétaire risque d’être ralentie par les considérations sociales. Si nous restons avec la même structure de budget actuelle, avec la masse salariale et le service de la dette qui représentent, respectivement, 50% et 9% des dépenses totales, il ne faut rien espérer. D’ailleurs, à court terme, il faut penser à la capacité de la Tunisie à mobiliser les fonds étrangers planifiés, notamment sa sortie à l’international.