La question de la composition du paysage politique fait l’objet de discussions et de débats. D’où l’intérêt de savoir si le gouvernement Fakhfakh passera au non? Faouzi Ben Abderrahmane, ancien ministre de l’Emploi et de la formation professionnelle, livre son point de vue. Et ce, dans une interview accordée à leconomistemaghrebin.com. Interview.
– Comment voyez-vous la composition gouvernementale par rapport au paysage politique?
Faouzi Ben Abderrahmane: La composition du gouvernement a été laborieuse. Car le parti arrivé premier aux élections législatives n’a pas su choisir une personnalité qui pouvait vaincre. Et ce, par sa faible personnalité et son incapacité à définir un programme de gouvernement et de fédérer autour de lui les partis. Avec en plus, un manque de confiance total entre les partis appelés à être dans la majorité.
Quant au président de la République, il a choisi une personnalité qui ne bénéficiait pas à priori d’un support de ces partis. Et sa première intervention publique était sans ambiguïté; mais en même temps a réduit sa marge de manœuvre tactique. Tout ceci démontre un grand
climat de méfiance entre les partis politiques. De même qu’une immaturité et une inexpérience dans la conduite des négociations de beaucoup d’acteurs politiques.
Toutefois, ce qui m’interpelle le plus est le fait que Elyes Fakhfakh s’est mis dans une posture de premier ministre et pas dans celle d’un président de gouvernement. Donc c’est une manière volontaire de s’inscrire dans la dynamique du Président de la République. Avec une présidentialisation du régime politique (Cf. l’intervention du Président de République d’avant-hier). Ceci sera un sujet de controverses parmi les membres du gouvernement. Car beaucoup n’accepteront pas ce mode de fonctionnement. Et je ne vois pas honnêtement comment cette équipe pourrait être solidaire ou unifiée avec ce différend majeur. Lequel sera aggravé par un niveau de confiance très limité entre ses différentes composantes.
Bien entendu le chef du gouvernement pourrait être ce liant qui permettrait de constituer une équipe homogène et solidaire et portant un programme fort… Mais Elyes Fakhfakh n’a pas montré cette aptitude à ce jour.
– Le risque de ne pas passer le stade du vote de confiance est-il toujours d’actualité?
Je ne pense pas qu’il y ait un risque pour la confiance au gouvernement. Car aucun parti n’est prêt à aller vers des élections anticipées. Et aussi parce que le résultat n’est garanti pour personne.
Pour moi, le plus gros perdant est Qalb Tounes qui n’a pas réussi à s’imposer malgré ses 38 députés. Ennahdha a sauvé les meubles et sa position dans le gouvernement n’est pas déterminante. Puisque les ministères régaliens, les relations étrangères et les finances lui ont échappé.
Alors, le paysage politique sera un champ de manœuvre sur le régime politique entre Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi. A savoir: d’un coté les partis politiques de la coalition gouvernementale; et de l’autre coté Ennahdha et l’opposition de l’ARP.
Voter pour ce gouvernement est finalement une bonne chose. Car premièrement, cela permettra de remplacer un gouvernement à bout de souffle. Avec un tiers des portefeuilles en intérim, une administration à l’arrêt depuis des mois. En plus d’une absence d’interlocuteurs au niveau national et international depuis très longtemps.
Une deuxième raison concerne le Président de la République et son projet d’une réforme des institutions. Il ne pourra plus se concrétiser par une dissolution de l’ARP et un changement des équilibres politiques. Il devra maintenant expliquer son projet plus clairement et engager un vrai débat sur la Constitution et les institutions de la République. Un débat sain et raisonnable loin du populisme ambiant.
– Quel est le risque pour le pays?
Je pense que le Président du Gouvernement (et non le 1er Ministre) est le rôle le plus important dans les institutions de la Deuxième République.
De ce fait, M. Fakhfakh a énormément de dossiers urgents, stratégiques et importants. Mon souhait est qu’on ne perde pas encore quelques années précieuses à tergiverser et qu’on s’attaque frontalement aux dysfonctionnements sérieux du pays. A savoir: l’éducation et l’égalité des chances; la création de la richesse; le combat contre les inégalités; la réduction de la fracture sociale; la libéralisation des énergies du pays; le renouvellement du modèle
de développement; la construction d’une industrie innovante et une agriculture à forte valeur ajoutée…
Au final, on devrait mettre tout en oeuvre pour éviter les trois risques majeurs internes pour le pays. Soit: la déstructuration sociale ; la dislocation de l’Etat; et la perte de la paix sociale. De même que les trois risques majeurs en relation avec notre position dans le monde: notre souveraineté; notre place dans le monde; et notre crédibilité.
Bonne chance à tous ceux qui sont là pour servir le pays.