Ces dernières années, des défaillances structurelles marquaient la situation de l’économie tunisienne. Certains indicateurs commencent à peine à retrouver la voie de l’amélioration. Comme les taux d’inflation et de change. D’autres défaillances persistent encore. Telles que: l’aggravation du déficit énergétique; la détérioration de la situation financière des entreprises publiques; et la baisse de l’épargne et de l’investissement. Et elles continuent d’impacter négativement la croissance. Cette situation influe fortement sur l’environnement des affaires.
En effet, le manque de courage et de vision ainsi que l’absence de décisions macroéconomiques face à cette situation obligeaient la BCT à adopter une politique monétaire de demande restrictive. Celle-ci a fait l’objet d’un débat organisé le 26 février par la Fondation BNA. Y participaient: Fatma Marrakchi, universitaire; Rym Kolsi, Directrice générale de la politique monétaire à la BCT; et Habib Belhadj Kouider, directeur général de la BNA. Ils ont, à cette occasion, procédé d’abord à un diagnostic de la situation. Puis, ils ont présenté des pistes de sortie de crise de l’économie tunisienne. Ainsi que les chantiers urgents sur lesquels le nouveau gouvernement devrait se pencher.
Les entreprises publiques d’abord
Car, contrairement à la transition politique, l’échec de la transition économique conduit à un gap important entre l’épargne et l’investissement. Une grande part de l’épargne nationale provenant des entreprises publiques qui ont des dettes croisées. Celles-ci sont aujourd’hui, en grande partie, presque à l’arrêt. Elles ne dégagent pas de profits comme auparavant. C’est pourquoi, l’épargne publique est actuellement dans une tendance baissière.
A cet égard, Fatma Marrakchi rappelle la loi révolutionnaire déposée à l’ARP. Celle-ci n’aborde pas la restructuration financière des entreprises publiques. Parce qu’elle coûtera cher au budget de l’Etat malgré son urgence. Notons que cette loi prévoit un changement de mode de gouvernance interne et global de ces entreprises. A l’instar de ce qui a été décidé pour les banques publiques.
Pourtant, « cela permettra de professionnaliser les conseils d’administration et de relancer l’épargne publique. A titre d’exemple, la restructuration des entreprises publiques du secteur du transport à travers des contrats-programmes avec des bailleurs de fonds pourrait améliorer ce service aux yeux des Tunisiens ». C’est ce que précise Mme Marrakchi qui souligne la nécessité du ciblage des subventions vers ceux qui en ont besoin. Et ce, à travers un système déclaratif qui permettrait d’éviter d’énormes gaspillages.
Pour Mme Kolsi, en appliquant aux entreprises publiques le plan de restructuration qu’on avait adopté pour les banques, ces entreprises auraient pu enregistrer de bien meilleurs résultats. « Les bénéfices de l’année 2019 réalisés par les banques montrent que les banques publiques peuvent reverser à l’Etat une somme autour de 300 millions de dinars. Et ce, au titre d’un retour sur investissement des 1000 millions de dinars versés par l’Etat aux banques publiques ». Tel est son discours, pour montrer l’effet positif de la restructuration de ces banques. Et d’ajouter que le crowdfunding, comme investissement participatif, peut booster lui aussi l’emploi et la création de richesse.
Quant au sujet de l’épargne, Mme Kolsi tient à souligner qu’en renouant avec la stabilité politique, sociale et sécuritaire, il y a de fortes chances que le potentiel d’épargne et d’investissement redémarre.
Economie tunisienne : préoccupations et voies de relance
Après un retour sur la conduite de la politique monétaire en cette phase d’instabilité, un rappel de la situation économique à travers une présentation des indicateurs clés, Mme Rym Kolsi livre la vision d’un régulateur quant aux défis et principaux enseignements à tirer de la période transitoire.
De ce fait, elle affirme que la politique monétaire a permis de faire baisser l’inflation. En plus de réduire le déficit courant, de consolider le stock de devises, de renforcer le taux de change et de faire baisser le refinancement.
Bureaux des changes
Par ailleurs, la directrice générale de la politique monétaire de la BCT se félicite de la création des bureaux des changes. Car, ils ont pu contourner l’inertie au niveau de l’adoption du nouveau code des changes. Pour elle, l’accélération de l’adoption de l’amnistie des changes est une urgence. Parce qu’elle aura un impact positif sur les ressources de l’Etat.
Toutefois, dit-elle, des incertitudes continuent à planer sur les perspectives de la croissance. Il s’agit notamment des prix sur les marchés internationaux et l’aggravation du déficit énergétique.
« Comment se fait-il que la croissance soit aussi morose et que les besoins énergétiques atteignent environ 40% du déficit de la balance commerciale ? » Une interrogation que pose Mme Kolsi qui adhère aux voies qui se lèvent pour un audit énergétique. Pour elle, une partie de la réponse réside dans le tarissement naturel des gisements, une baisse des prospections et dans l’octroi des permis. Mais cela n’explique pas tout et il y a des zones d’ombre qui ne trouvent pas d’explications claires.
En outre, elle fait remarquer que « la baisse observée au niveau de l’importation des biens d’équipement durant le mois de janvier de l’année en cours est inquiétante ! »
Et d’ajouter que le niveau de l’inflation sous-jacente continue aussi à être une source de préoccupation pour la BCT. De même que la sortie à l’international est aujourd’hui beaucoup plus difficile. Au vu de la dégradation continue de la note souveraine du pays depuis la révolution.
Interpellée sur l’élasticité taux d’intérêt / investissement, Mme Kolsi n’a pas manqué, lors de sa présentation, de préciser que le taux d’intérêt ne figurait pas dans les cinq premières préoccupations des chefs d’entreprise. Ce taux n’est pas, en effet, perçu comme entrave fondamentale à l’investissement.
Une prochaine étape forcément « pro-growth »
« Le gouvernement doit jouer pleinement son rôle pour endiguer des fléaux endémiques », estime Mme Kolsi. En effet, l’effort du prochain gouvernement devrait s’orienter vers: l’amélioration du climat des affaires; la flexibilité de l’emploi; la restructuration des caisses sociales; la digitalisation de l’économie pour lutter contre l’informel et le marché parallèle; la mise en place d’un pacte social. Sans oublier le rôle important du partenariat public privé et la montée dans les chaînes de valeur comme vraies solutions. Afin que la Tunisie renoue avec une croissance saine, durable et plus inclusive.
Au final, « la vraie question consiste à s’interroger sur une stratégie à long terme. Malheureusement, on a rompu avec la bonne habitude de plans de développement. Avec ces plans, il va y avoir des politiques sectorielles. Tant qu’on n’a pas une visibilité à long terme, on ne peut pas renouer avec une croissance durable », conclut Mme Kolsi.