Il s’agit d’un café réputé de la ville des Aghlabides. Ouvert au milieu des années soixante. Il est connu pour son café filtre. Mais aussi pour son « fernek ». Le « fernek » était autrefois le lieu où on alimentait en énergie le hammam Taktak. Il est situé à une dizaine de mètres de l’entrée principale du café. La porte est on ne peut plus anodine, peinte, comme tout l’ensemble, en bleu. Mais, le visiteur se rend vite compte de sa présence grâce à une pancarte : privé. Reportage.
A Kairouan c’est peut-être un monument. Du moins un passage obligé. « Souvent lorsqu’on veut aller chercher une connaissance, on vient chez nous », soutient le maître des lieux, Sofiène Taktak. Il faut dire que le café Taktak est situé en plein centre-ville de Kairouan. A quelques mètres de Bab Ejalladdine ou encore Bab Al Chouhada (la Porte des martyrs). Une des huit portes de Kairouan à partir de laquelle le visiteur part à la découverte de la médina.
Quelque 54 hectares faits de maisons traditionnelles, de ruelles, de souks, de magasins d’artisanat, de zawias et de mosquées…
Une médina, entourée de remparts parmi les mieux conservés de Tunisie faisant 3,5 kilomètres de périmètre et d’une hauteur entre quatre et huit mètres. Et aussi des plus anciennes : leur construction date du VIIIème siècle. Des remparts « édifiés principalement en briques cuites et en pisé ».
Les cafés, la ville de Kairouan n’en manque pas
C’est dire que le café Taktak offre au visiteur une vue imprenable sur la médina. Que l’on s’installe dans les 70 mètres carrés de sa salle ou dans l’une de ses deux terrasses de 200 mètres carrés. Des espaces dans lesquels Sofiène Taktak a installé des tables et des chaises. Peintes d’un bleu qui ressemble en tout à celui qui domine le village de Sidi Bou Saïd, dans les environs de Tunis. Sous des parasols de même couleur.
Le café est aujourd’hui parmi les plus anciens de la ville des Aghlabides. Il date de la moitié des années soixante. Lorsque le père de Sofiène, Feu Mokhtar Taktak, l’avait ouvert. Il fait partie du reste d’un ensemble fait d’un hammam, parmi les plus connus de la ville, et d’un hôtel.
Les cafés, la ville n’en manque pas. Ils seraient une centaine, selon une estimation faite par notre confrère Le Temps, en 2007 : « soit un café pour 1180 habitants ». Mohamed Rebai, un fin connaisseur de la région de Kairouan, cite dans un site dédié à sa ville natale (kairouan.org), le nom de quelques-uns des cafés des plus réputés de la ville des Aghlabides, dont certains ont disparu : le café Amor, le café Abassia, le café Azouzi, le café Béji, le café Brija, le café Hassanet, le café Jennane, le café Nagazi, le café Roc, le café Dominique, le café Sarjane,… Et évidemment le café Taktak.
Chercher sa dose de café pour toute la soirée
Autant dire que ce dernier est un lieu largement fréquenté devant lequel il est difficile de se garer. On y voit notamment de nombreuse mobylettes et bicyclettes qui prennent place ne serait-ce que pour le temps de remplir un thermos de café filtre.
C’est du reste un spectacle qu’il ne faut pas rater, notamment pendant le mois saint du Ramadan. Où tout le monde des environs vient pratiquement chercher sa dose de café pour toute la soirée.
Le patron n’est pas très regardant sur les quantités servies dans les thermos et autres bouteilles dans lesquels le comptoiriste abreuve les clients. Autre spectacle qui fait un peu la différence avec d’autres cafés : les morceaux de sucre sont toujours servis dans un emballage de couleur crème, utilisé d’habitude dans les épiceries du coin pour vendre le sucre ou la semoule, par exemple.
Le café filtre, un type de café qui a quasiment disparu des cafés dans les grandes villes de la côte tunisienne, comme à Tunis, Sousse ou Sfax, en faveur des « Express, Capucin ou autre Direct ». Mais, qu’ici, à Kairouan, à l’instar de nombreuses villes de l’intérieur, a plus qu’ailleurs droit de cité.
Et ce qui fait sans doute aussi, selon Sofiène Taktak, l’affluence dans son établissement, c’est que le café Taktak ne sert que du café pur. « C’est un autre goût et un autre arôme que le café dit mélangé », assure-t-il.
Et s’il est, sans doute, une caractéristique du café que dirige aujourd’hui Sofiène Taktak, c’est le fait que l’ensemble auquel il appartient possède un « fernek », un lieu largement fréquenté par nombre de personnalités de la ville : des médecins, des avocats, des pharmaciens, des commerçants, des fonctionnaires,… mais aussi des amis de longue date qui constituent le premier cercle d’amis.
Transmission des normes et des valeurs
C’est, du reste, une tradition instaurée par son défunt père, qui aimait rencontrer dans ce « fernek » des amis que ce soit au mois de Ramadan ou, pratiquement chaque jour ou week-end, au sortir du travail.
Le « fernek », qui était autrefois le lieu où on alimentait en énergie le hammam Taktak, est situé à une dizaine de mètres de l’entrée principale du café. La porte est on ne peut plus anodine, peinte, comme tout l’ensemble, en bleu. Mais, le visiteur se rend vite compte de sa présence grâce à une pancarte : Privé.
Une tradition que Sofiène respecte jalousement : le « fernek » n’appartient-il pas à ses espaces de « socialisation », comme les salons de coiffure ou les cordonneries, où jadis « se transmettaient les nouvelles, mais aussi les valeurs et les normes permettant de construire une identité sociale ? ».