Alors que le prix du baril de pétrole s’est installé dans une zone inférieure à 35 dollars pour les prochains mois, certains commencent déjà à contester les prix actuels à la pompe.
La Tunisie dispose certes, d’une fenêtre de tir pour améliorer ses comptes puisque le budget 2020 a retenu l’hypothèse d’un baril de pétrole à 65 dollars. Reuters a rapporté au cours de la semaine dernière que le ministère des Finances étudie sérieusement une stratégie de hedging pour une partie de ses achats. Le calcul du gain potentiel que le pays pourrait tirer de ce contexte est beaucoup plus compliqué qu’en apparence.
Un état des lieux peu satisfaisant
En effet, le mix énergétique de la Tunisie est composé à hauteur de 98% de produits pétroliers et de gaz naturel. Les énergies renouvelables ne représentent que 2% de la consommation nationale. Le coût de ces énergies a représenté 10,6% du PIB en 2018. La production nationale n’a permis de couvrir que 45% des besoins en 2019.
Mais une nette amélioration est attendue en 2020 grâce à l’entrée en exploitation du champ Nawara et le taux de couverture devrait atteindre 60% avant de baisser de nouveau à 53% à l’horizon 2022.
Par contre, l’Etat compte sur l’activité de prospection et d’extraction locales qui seront, certainement, au-dessous des attentes. Car les entreprises pétrolières vont arrêter leurs plans d’investissement pour une question de rentabilité.
Les prix actuels sur les marchés sont donc une aubaine. Profiter de la situation dépend, toutefois, de la flexibilité du pays. Les capacités nationales de stockage sont limitées et les achats des prochains mois pourraient être déjà contractés. Il serait donc impossible de profiter à très court terme de la tendance baissière des prix. De plus, nous ne devons pas oublier que ces prix sont Free On Board, donc avant coûts de l’assurance, de transport et de raffinage.
Allègement des pressions sur la compensation
En 2019, la compensation des carburants nous a coûté 2,538 milliards de dinars. Le budget de 2020 table sur une réduction de 658 millions de dinars à 1,880 milliard de dinars. Donc déjà l’impact sur les comptes de l’Etat est réduit. Par ailleurs, ces chiffres supposent une révision à la hausse des prix à la pompe. Quelque chose de politiquement impossible au vu de la tendance actuelle.
Ainsi, le calcul du vrai gain en termes de compensation doit faire intervenir quatre éléments:
- Une plus faible consommation nationale puisque la croissance économique serait en déclin;
- Des importations de produits raffinés essentiellement en raison de la faible capacité de la STIR;
- Une production nationale stable, au meilleur des cas, pour le pétrole avec les perturbations sociales qui secouent les entreprises pétrolières (comme El Kamour);
- Des prix stables à la pompe;
- Un effet positif pour seulement les neuf mois restants de l’année.
Cela sans oublier que Nawara ne commencera à impacter réellement les comptes qu’au second trimestre 2020. Ainsi, les gains pourraient ne pas être aussi importants que certains le pensent. Déjà, les importations de produits pétroliers ont progressé à 1,656 milliard de dinars sur les deux premiers mois de l’année avec plus de pétrole raffiné.
Des effets négatifs également
Cette dégringolade a également des effets négatifs. Il y aura d’abord moins de recettes fiscales en 2021. Les compagnies pétrolières contribuent activement à l’impôt sur les sociétés en Tunisie.
En 2019, et selon les chiffres des résultats provisoires de l’exécution du budget, les sociétés pétrolières ont drainé 1,121 milliard de dinars d’impôts. Ce qui représente 29,2% de la totalité de l’IS collecté. Sur la période 2016-19, ces compagnies ont payé 2,920 milliards de dinars, ce qui est loin d’être négligeable.
La fragilité de l’Algérie est également une question à tenir en considération. Le pays est dépendant des hydrocarbures. Il a basé sa loi de Finances sur un prix du baril à 50 dollars. Tous les calculs budgétaires sont donc caducs et le pays risque vraiment gros. Encore fragile politiquement, l’Algérie risque une crise sociale.
Enfin, la baisse du prix du baril va pousser plusieurs pays producteurs à dévaluer leurs monnaies ou les pousser vers des niveaux bas. Cela va réduire notre compétitivité, en matière d’IDE, par rapport à des régions comme l’Amérique Latine ou l’Afrique qui ont déjà la cote par rapport à nous. En même temps, l’Euro risque de s’apprécier, ce qui ne fait pas totalement l’affaire de la Tunisie.
Au final, l’exercice d’évaluation des conséquences de cette baisse doit donc être le plus exhaustif possible et ne pas s’arrêter simplement aux prix affichés. Les gains sont, à notre avis, assez modestes à moyen terme.