Elyes Jouini, ancien ministre des Réformes économiques et sociales en Tunisie et enseignant-chercheur à l’Université Paris Dauphine et ancien vice-président de l’Université Paris-Dauphine fait une analyse intéressante de la situation concernant le coronavirus en Tunisie.
Tout d’abord, Elyes Jouini a montré la nécessité de mesures efficaces et rapides car la propagation du virus va vite.
« 3 jours de gagnés (ou de perdus) dans la prise de décision ou dans sa mise en œuvre et on divise (ou on multiplie) par presque 2 le besoin en nombre de lits de réanimation au moment du pic! Et on divise (ou on multiplie) par beaucoup plus de 2 le nombre de décès (en raison de la division par 2 du nombre de cas et de la meilleure prise en charge due au moindre engorgement du système)! »
Toutefois, il a tenu à insister sur le fait que la pédagogie et une conscience collective sont nécessaires.
« – Des gants ne servent à rien si on les utilise pour se toucher aussi bien le visage que pour toucher les autres (ou des objets transmis aux autres),
– Un masque ne sert à rien s’il est manipulé de manière incorrecte. Par exemple, l’enlever en touchant la face extérieure revient à se mettre en contact avec les virus qu’il était censé intercepter,
– Mettre les enfants en congé ne sert à rien si c’est pour qu’ils se retrouvent, en nombre, les uns chez les autres,
– Fermer les restaurants le soir ne sert à rien si c’est pour doubler leur fréquentation à midi. »
Coronavirus: la Tunisie a donc la chance extraordinaire d’avoir un mois et une semaine de décalage avec la France
Elyes Jouini, indique que le taux de progression du virus en Tunisie est similaire à celui en Europe:
« Le nombre de personnes déclarées touchées par le coronavirus, en Tunisie, est passé de 1 le 2 mars à 20 aujourd’hui.
Le taux de progression quotidien correspondant est de 23%. Ce taux est tout à fait comparable au taux de 27% observé en Grande-Bretagne. Ou au doublement tous les 3 jours annoncé en France. En Tunisie, au lieu d’un doublement tous les 3 jours c’est une multiplication par 1.86 tous les 3 jours.
Le premier cas en France a été recensé le 24 janvier. La Tunisie a donc la chance extraordinaire d’avoir un mois et une semaine de décalage avec la France. Cette chance, il faut s’en saisir pour agir. »
Des mesures efficaces doivent être appliquées dans la durée
Des mesures fortes de distanciation sociale doivent être prises sérieusement. Sinon, le taux de propagation atteindrait les 60% de la population.
« Sans mesures fortes de distanciation sociale, on multiplie le nombre de cas par 600 tous les mois ! Soit 20 cas aujourd’hui, 12 000 mi-avril, 7 millions mi-mai. C’est à dire les 60% de la population évoqués en Europe. Rappelons que l’Allemagne a parlé de 70 et la France et la Grande-Bretagne de 50.
Le taux de létalité est de 2 à 3%, ce qui signifie que le nombre de décès est très faible. Et ce lorsque l’on est à quelques dizaines de personnes diagnostiquées comme c’est le cas aujourd’hui. Mais, cela signifie aussi 200 à 400 décès mi-avril et 120 000 à 240 000 mi-mai. Ceci si des mesures extrêmement fortes ne sont pas prises et maintenues. Surtout, elles doivent être appliquées pendant tout ce temps! »
Le nombre de lits en réanimation en Tunisie est très faible
Toutefois, le risque en Tunisie est celui de l’engorgement du système de soins. Car, la Tunisie a un taux 4 fois moindre que l’Europe en nombre de lits.
« Le nombre de lits de réanimation par habitant est bien plus faible qu’en Europe (5000 lits en France pour 60 millions d’habitants. vs 240 en Tunisie pour 12 millions d’habitants, soit un taux 4 fois moindre). Nous nous devons juguler la croissance exponentielle de l’épidémie au plus tôt. Car la France connaît déjà une saturation de son système dans le Grand Est. Aussi, l’Italie a également vu son système de soins totalement submergé. »
Enfin, d’après l’enseignant chercheur en économie financière, la Tunisie a encore la possibilité de faire face de manière efficace. Cependant, le chemin est long et « nous ne sommes qu’à la moitié du gué. Il faut agir plus, plus fort, de manière plus effective. Plus disciplinée et plus efficace aussi. Peut-être le point le plus difficile dans la durée! »