Dans cette interview exclusive accordée à leconomistemaghrebin.com, l’enseignant-chercheur en sociologie Foued Ghorbali soutient que la crise mondiale engendrée par le Covid-19 remet en cause le système économique néolibéral. Elle impose le retour à l’Etat providence et nécessite une solidarité internationale pour éradiquer le virus.
Au niveau économique, le Covid-19 a montré que les choix économiques libéraux et néo-libéraux sont des choix erronés. Les pouvoirs politiques ont accordé une marge importante aux forces libérales qui régissent les marchés. Et ce, au détriment du rôle social de l’Etat. « En temps de crise, cette théorie montre sa limite, voire son essoufflement ». Il soutient que la théorie de la fin de l’Etat social et/ou l’Etat-providence n’est qu’une illusion. « Les circonstances actuelles ont montré que les Etats sont intervenus, en premier lieu pour endiguer la crise ».
Pour argumenter sa thèse, il cite l’intervention de l’Etat italien et de l’Etat français. Ainsi, le Covid-19 a fait rappeler les bienfaits de l’Etat-nation et la nécessité de son intervention. « Mais reste à savoir si l’Etat-providence deviendrait, désormais, un choix perpétuel des pouvoir publics des pays ayant connu la crise du Covid-19. Ou s’il s’agit uniquement d’une période passagère », s’interroge-t-il.
Quand le Covid-19 impose le retour à l’Etat-providence
Un autre exemple pertinent, le Royaume-Uni, gouverné par les Conservateurs, a décidé, entre autres, pour lutter contre les impacts économiques de la crise, de payer 80% du salaire de chaque salarié ayant perdu son travail pendant trois mois. Et ce, à cause de la crise engendré par le virus. Pour rappel, le Royaume-Uni n’intervient pas généralement dans l’économie.
La question est de savoir si les décideurs politiques dans le monde vont remettre en question le néo-libéralisme et le capitalisme sauvage suite à la crise? Pour M. Ghorbali, l’Etat ne doit pas, uniquement, être un régulateur. Mais il doit également exercer son rôle social.
Par ailleurs, l’intervenant fait remarquer l’inexistence d’un leadership mondial pour lutter contre le coronavirus. Car « chaque pays mène la guerre de son côté, sans coordination aucune », précise-t-il.
Il recommande également un appel à la solidarité internationale. Les crises sanitaires, notamment dans les pays émergents, doivent être combattues à l’échelle internationale. Si la Chine a pu éradiquer le virus toute seule, cela n’aura pas d’importance si d’autres pays en souffrent. Surtout que la Chine a des échanges commerciaux avec d’autres pays. Ainsi cette situation peut nuire même aux pays qui se sont remis du virus.
La classe moyenne, ce parent pauvre des mesures d’Elyes Fakhfakh
Commentant les mesures prises par le Chef du gouvernement Elyes Fakhfakh, Foued Ghorbali considère que l’Etat adopte une approche permettant de sauver à la fois les PME et la classe défavorisée. « Mais ces mesures demeurent limitées étant donné les moyens disponibles de l’Etat », précise-t-il. Il rappelle que cette mesure permet de garantir la pérennité des PME, facteur qui empêcherait la perte de centaines de milliers d’emplois. Dans le même sillage l’enseignant-chercheur en sociologie affirme que la classe moyenne subira également les impacts négatifs de la crise. Ainsi, il rappelle l’importance de cette classe dans le tissu à la fois social et économique et dans la paix sociale en Tunisie.
Pour des mesures plus globales et plus percutantes
Tout en reconnaissant l’importance des mesures prises par la Présidence du gouvernement, Foued Ghorbali s’interroge. « Pourquoi l’Etat n’a-t-il pas déclaré la guerre aux évadés fiscaux dans ce contexte? » Ghorbali estime que cette solution permettrait de mobiliser des sommes colossales dont l’Etat a besoin. Et ce, pour faire face à la crise.
Le Chef du gouvernement aurait pu annoncer la réquisition de toutes les cliniques privée. Et ce, pour faire face à la crise. « Après la fin de la crise, la Présidence du gouvernement peut mettre un dispositif pour payer les cliniques », propose-t-il. La révision à la baisse des prix des produits alimentaires de base est une urgence pour notre interlocuteur. Car, la révision à la baisse des prix et le contrôle rigoureux des circuits de distribution contrecarrent les agissements des spéculateurs.
Notre invité recommande une bonne communication gouvernementale. Et notamment avec la désignation d’anthropologues, sociologues, psychologues dans le Conseil scientifique consultatif de la Présidence du gouvernement. Pour lui, la composition du Conseil ne doit pas se limiter uniquement aux biologiste et médecins. « Les sciences humaines ont leur mot à dire dans cette crise », fait-il savoir.
Société tunisienne contre le Covid-19
Par ailleurs, Foued Ghorbali considère que l’Etat a commis la faute de miser sur « la conscience de la société ». Pour lui, il n’existe pas de conscience de la société dans l’absolu. A cela s’ajoute que les citoyens donnent libre cours à leurs peur et panique dans ces circonstances. « En sociologie, les citoyens en temps de crise se transforment en foule. Et la foule se comporte d’une manière irrationnelle », étaye-t-il.
En outre, Foued Ghorbali pointe du doigt l’absence d’une approche d’anticipation de crise et de prévision de scénarios. Il soutient que cette approche ne fait pas partie des politiques de l’Etat. « Depuis l’indépendance l’Etat a opté pour une approche de prévention et pas pour des mesures d’anticipation », lance-t-il. D’ailleurs, même les Tunisiens ne pensent pas aux épidémies, aux catastrophes naturelles. Par contre, les Tunisiens paniquent devant la famine et la faim. « Car historiquement la Tunisie a connu la famine et la sécheresse », poursuit-il.
Les citoyens français ont peur des mouvements sociaux. Par contre la Chine a connu à travers son histoire des épidémies et des famines. Ceci pourrait expliquer l’intervention rapide de l’Etat pour endiguer le Covid-19. L’enseignant-chercheur en sociologie recommande donc la mise en place d’une approche d’anticipation de crise; en plus de l’approche préventive.
Enfin, au niveau culturel, une partie du peuple tunisien croit encore que les épidémies sont un châtiment divin. Ils recourent ainsi à l’interprétation religieuse du désastre, conclut-il.