Quand les passagers, en pleine bourrasque, sentent que le commandant -pardon les commandants- ne sont pas à la hauteur, ils ont tendance à se manifester pour savoir comment ils vont s’en sortir avec des dilettantes de cet acabit. « Ce n’est pas le moment, nous sommes occupés à combattre la pandémie » disent-ils. Un raisonnement altéré destiné à dégager des lignes de fuite pour se permettre de commettre impunément tous les errements. La bonne excuse ! Si maintenant n’est pas le moment de signaler les écarts et les lâchetés, quand viendra ce moment ?
Les confinés répliquent : « Si. C’est toujours le moment ». Et si ce n’est pas le moment de contester ce qui ne tourne pas rond, ce moment viendra avec une colère décuplée de tout un peuple de confinés. Et il aura, ce peuple là, au moment de l’ouverture des portes, à exiger des comptes.
Avec un tel raisonnement « ce n’est pas le moment », on peut facilement imaginer que le jour où les confinés auront vaincu cette crise sanitaire, par leur patience et leur sacrifice, ceux du pouvoir nous expliqueront devant nos demandes d’explications, que c’est du passé, dépassé, et qu’il faut maintenant que le pays avance pour résoudre la crise économique et sociale.
Une sorte de tournis
Les confinés que nous sommes -que le confinement n’a pas encore décérébré- tiennent à exposer un tableau de chasse des stupidités insondables mis en scène récemment par des dilettantes, arrivés au pouvoir grâce à des élections pour le moins frelatées. Il convient de reconnaître que ces gaffes et inepties génèrent, par leur observation, une sorte de tournis.
On peut entamer notre promenade de « reclus du Covid-19 » en passant par le ministère de la Santé où son locataire semble se dépenser sans compter. Mais comme dirait Ernest Hemingway : « Ne confonds jamais mouvement et action ». Espérons qu’il ne pratique pas l’art de brasser du vent.
Certains esprits mal intentionnés le soupçonnent de profiter de l’opportunité « covidienne » pour se faire voir souvent, afin d’obtenir une meilleure chance dans la course lancée en catimini pour s’emparer de la direction de la section locale de la confrérie à laquelle il appartient, à la place du dinosaure du marigot frériste.
Vous me direz que c’est une ambition légitime. Certes, mais sans pour autant exploiter son poste et surtout dans les circonstances actuelles où le secteur de la santé est en première ligne dans la guerre contre le Covid-19.
Par ailleurs, il n’est pas obligé d’aller jusqu’à infliger un spectacle aussi dégradant au staff du département, à un nombre de directeurs régionaux et aux cadres du ministère en les contraignant à se plier à cette scène burlesque dite du serment…afin d’enrayer la crise sanitaire actuelle, pour ânonner en chœur après lui comme dans un kouteb « Je jure au nom de Dieu le Tout Puissant etc… ». Et, fier de lui, il va jusqu’à poster la vidéo de l’exhibition sur sa page officielle Facebook !
Faut-il lui rappeler que le ministère de la Santé n’est pas une annexe du majless choura de son mouvement ? Il s’avère qu’il est médecin lui-même, et les médecins ont déjà prêté le serment d’Hippocrate et n’ont pas à se laisser entraîner dans cette mascarade déplacée.
Au lieu de se prêter à ce genre de gesticulations inutiles autant que détestables, il serait bien inspiré d’agir sans attendre pour pourvoir ceux qui sont en première ligne dans cette guerre contre le Coronavirus des équipements de protection indispensables qui manquent cruellement : masques FFP2, calots, blouses, chaussures, gants, visière, solution hydro-alcoolique, moyens de désinfection et de stérilisation permettant de prendre en charge les patients en toute sécurité…De même que les respirateurs pour assurer une assistance respiratoire aux prochains malades.
Pour conclure provisoirement : il aurait accompli son devoir, et on lui en serait très reconnaissant, en pensant aux jeunes médecins, sans équipement ni conditions de séjour décentes, aux internes, aux résidents, aux infirmiers et tous les autres maillons de la chaîne sanitaire…
Canaliser les capacités d’adaptation
L’étape qui suit dans notre itinéraire de confinés s’arrête au cas de l’ex « monsieur Propret » et néanmoins ministre d’État de la Fonction publique, de la réforme administrative et de la lutte contre la corruption (et tutti quanti), qui fait sa mue en « monsieur ce n’est pas le moment ».
Une fois installé au gouvernement, il change d’avis et ne daigne plus s’occuper du menu fretin, comme l’abus de biens publics, lorsqu’il s’agit de l’un de ses collègues qui s’est permis de prêter la deuxième voiture de fonction à sa fille pour la conduire en totale infraction avec la loi et provoquer un accident qui a détruit le véhicule.
Lorsque les journalistes l’interrogent sur un sujet qui a soulevé l’indignation de l’opinion publique il répond que « ce n’est pas le moment de soulever ce type d’affaires, alors que le pays était en train de combattre une épidémie ». Quelle bonne excuse !
Cette posture timorée nous rappelle ce que disait Lyndon Johnson au sujet du président américain Gerald Ford, affirmant qu’il « était incapable de marcher et mâcher de la gomme en même temps », montrant ainsi son incapacité à gérer le pays. La logorrhée de paroles empressées -interminables et redondantes, la main sur le cœur, dans une exaltation émotionnelle surprenante- déversée lors des parutions publiques s’évapore subitement au contact de la réalité sur le terrain.
La pérégrination du confiné s’achève momentanément, pour une pause reposante, loin des bévues, des maladresses, des inepties et des gaffes des personnages qui feignent tenir les commandes dans ce pays. Qu’ils continuent, pour la dixième année consécutive, à « apprendre la coiffure sur les têtes des orphelins » comme le dit l’adage tunisien !
En imaginant qu’un jour viendra où le politique tunisien saura traduire les espoirs d’un peuple en une volonté, canaliser les capacités d’adaptation et les aspirations de ses concitoyens dans une direction qui transforme ce qui est subi en meilleur voulu.