Mounir est médecin de ville. Dernièrement le coronavirus a changé sa vie. Sa vie de praticien et sa vie personnelle. Bien que la situation soit très difficile sur le terrain.
C’est sur un ton drôle et plein d’humour qu’il nous raconte sa journée de travail du lundi 30 mars en tant que médecin. Un très beau témoignage qui reste très instructif sur la vraie réalité du terrain!
« C’est un lundi pas comme les autres, la famille est encore endormie, mais je me lève à l’heure comme d’habitude, me rase, avale mon café devant la télé… La compétition funèbre ITALIE-ESPAGNE continue… Un véritable massacre… Maudit Corona!
Vers 08h30, muni de mon masque (bavette chirurgicale), et mon flacon de gel en poche, je rejoins mon cabinet, situé en plein centre ville, devant une station de taxis…
Par manque de clientèle, confinement oblige, les taxistes sont agglutinés, en pleine discussion, la majorité sans masques protecteurs, certains tirant sur leur cigarette.
Comme ce sont des « voisins » de longue date, je les salue et ne peux m’empêcher de leur dire sur un ton de reproche:
_ « …Qu’est-ce que je vous ai raconté la semaine dernière? Eloignez-vous au moins les uns des autres ! » …
_ « …Rabbi yostor doctour, faut bien ramener du pain aux gosses… », me répondent-ils sur un ton lasse.
Hassen le plus anxieux du groupe me rejoint dans l’escalier de l’immeuble.
_ « …Doctour j’ai peur, j’aimerais rester chez moi, mais tu connais ma situation… Avec ma mère malade, ma femme enceinte et mes deux gosses, je suis obligé de travailler, pour eux, pour les traites du taxi… Le masque que tu m’as donné avant-hier s’est déchiré, et le pharmacien n’en a plus… »
_ « …OK j’ai compris. » Et je lui donne une bavette, une de moins du maigre stock encore à ma disposition.
Au cabinet médical
Dans mon cabinet, je suis seul. J’avais déjà donné congé à mon assistante plusieurs jours auparavant. Vue qu’elle était obligée de prendre le bus pour rejoindre le cabinet.
Je me prépare aux consultations, suivant le nouveau rituel: calotte (en fait c’est une sur-chaussure), masque ffp2 et sur-blouse de l’avant-veille (stérilisés par le soleil et de l’eau javellisée). Le tout a été acheté en pharmacie ou livré par notre section syndicale du privé.
Ensuite, je vérifie le flacon de gel hydroalcoolique et je mets de l’eau javellisée sur les poignées de porte… Puis, je fais entrer un par un les patients.
Pendant 3h, je renouvelle des traitements chroniques, consulte un érysipèle, une allergie saisonnière, un syndrome anxieux convaincu d’avoir le Corona malgré l’absence de signes, je réponds au téléphone à des patients angoissés ou qui vérifient si je continue à travailler pour prendre RDV…
_ « Oui madame… Je travaille seulement les matinées sur RDV… Mon téléphone est constamment ouvert »…
« … Non le Corona ne se transmet pas par la peau, mais lavez–vous fréquemment les mains… »
« … Non le « bkhour » n’est pas virucide… Mais bon utilisez-le si vous vous sentez mieux après… »
Sur le chemin du retour
A midi, j’enlève mon « attirail » anti-corona, pour retourner chez-moi, mais avant je dois passer constater le décès d’une vieille dame de 79 ans, asthmatique et cardiaque, alitée depuis un an… Elle est décédée le matin, mais sans signes de « LA » maladie comme je l’ai vérifié au téléphone… Espérons que ce ne soit pas un cas atypique.
Toutefois, je prends toutes les précautions d’usage quand même. Mais là aussi le confinement est largement violé, tout le quartier était là pour assister la famille endeuillée.
C’est tout attristé que je quitte les lieux. Je passe sur la route du retour par le boulanger, la queue est ici silencieuse. Pourtant, la déprime se lit sur tous les visages, mais la distanciation de plus d’un mètre est respectée.
_ « … Bonjour, hier vous étiez fermés… »
_ « … Oui on n’avait plus de semoule… ».
A la maison, je retrouve ma femme de plus en plus anxieuse:
_ « … Tu as examiné des patients atteints de corona aujourd’hui?
_ Non…
_ Hamdoullah… Essuie bien tes chaussures sur la serpillière javellisée… Ensuite, va te laver les mains sans rien toucher » .