Dans cette interview accordée à leconomistemaghrebin.com, Dr. Moez Joudi, président de l’Institut Tunisien des Administrateurs (ITA), revient sur les impacts socio-économiques de la pandémie Coronavirus. Et il dresse des mesures d’après crise. Interview.
Leconomistemaghrebin.com : Quels sont impacts socio-économiques de la crise du Coronavirus, notamment sur les citoyens et les entreprises en particulier; et l’économie nationale en général ?
Moez Joudi : Aujourd’hui, le monde souffre désormais de deux crises : Une crise sanitaire et une crise économique. Avec le confinement général, l’activité économique s’est arrêtée brusquement et le doute plane quant à une éventuelle reprise avant l’été.
Le manque de visibilité, l’indécision au niveau politique, les imprécisions du monde scientifique et médical et la panique qui règne au niveau des opérateurs économiques et de l’ensemble de la population mondiale, laissent croire que 2020 sera l’année de tous les dangers aux niveaux économique et financier.
Déjà les premières prévisions et anticipations nous donnent une décroissance de 20% à l’échelle mondiale, ce qui est énorme et fortement impactant! L’INSEE en France, prévoit une décroissance de 3% pour chaque mois de confinement, notre premier partenaire économique serait donc à au moins -5% de croissance en 2020.
La Tunisie sera fortement impactée par la baisse de l’activité économique et par la crise mondiale
La Tunisie qui souffre déjà d’une mauvaise situation économique et financière avant même le déclenchement de la pandémie du Covid-19, sera fortement impactée par la baisse de l’activité économique et par la crise mondiale qui touche des pays partenaires et un marché européen vital pour l’économie nationale.
D’abord, au niveau de la croissance économique, la Tunisie enregistrera fort probablement une croissance négative en 2020. Le FMI estime que cette décroissance serait de 4.3%. Je rappelle qu’en 2019 la croissance était faible et n’a pas dépassé les 1% avec des engagements conséquents en 2020, une inflation des dépenses publiques notamment au niveau de la masse salariale et un taux d’endettement public alarmant*.
Ensuite, à l’échelle micro, les PME tunisiennes risquent gros avec cet arrêt brutal de la production et ce ralentissement conséquent du commerce international. Nous allons certainement perdre un nombre d’unités incapables de résister à cette crise violente.
Malgré les annonces du Chef du gouvernement, les mesures d’accompagnement et les aides prévues tardent à venir. Il y a vraiment un décalage entre ce qui est annoncé au niveau gouvernemental et les réalités sur le terrain.
Enfin, la crise économique touchera en Tunisie le citoyen d’une manière directe Notamment le citoyen pauvre mais aussi celui qui a un revenu moyen. Autrement dit, les classes pauvres et moyennes seront fortement impactées au niveau de leur pouvoir d’achat. Voire même au niveau de la pérennité de leurs revenus et de leurs emplois, notamment en ce qui concerne la classe moyenne.
Ne nous voilons pas la face, le Covid-19 est aussi nocif pour l’économie nationale et causera certainement un essoufflement; voire même des difficultés respiratoires et des lésions profondes au niveau des poumons de l’activité économique du pays.
Coronavirus: quelles mesures d’après crise?
Joseph Schumpeter l’a si bien qualifié: une crise se caractérise essentiellement par un phénomène de destruction créatrice. La destruction est déjà là aujourd’hui, quand on constate les pertes enregistrées dans le transport aérien, le secteur énergétique, le tourisme, l’automobile, les services… Mais la création commence aussi à pointer du nez avec l’accélération de la digitalisation et de la numérisation des services administratifs et des transactions financières.
Aujourd’hui, le monde parle Webinar, tourne avec Zoom, fonctionne avec Microsoft Teams… Les meetings se tiennent à distance grâce à des applications et des solutions informatiques pertinentes. Cette semaine même, en tant qu’Administrateur de sociétés je tiens un Comité d’audit et j’enchaîne avec un Conseil d’administration. Bien sûr, tout en restant confiné chez moi. Et ce, grâce à la solution DiliTrust. Cette dernière permet d’optimiser la gestion de tout le système de gouvernance d’une banque ou d’une entreprise.
Il faut que la Tunisie puisse rattraper le TGV du progrès technologique…
C’est bien cela aujourd’hui l’après crise du Coronavirus: basculer vers le digital et le numérique. Il faut que la Tunisie puisse rattraper le TGV du progrès technologique et de l’intelligence artificielle. Ainsi que de la biotechnologie, des nanotechnologies, de la connaissance et du savoir.
L’après crise pour moi, c’est un nouveau modèle de développement orienté numérique, digital, technologies, économie du savoir. Un plan orienté aussi recherche, médical, industries pharmaceutiques, industries innovantes et énergies renouvelables.
Il faut foncer et faire face aux résistances qui nous tirent vers le bas. Il faut de la vision, du courage politique et de la résilience de la part des décideurs. Ce n’est pas un choix, c’est une obligation vitale.
Cette crise peut être aussi perçue comme une opportunité qu’il faut savoir saisir. L’objectif pour moi est de limiter la destruction et d’optimiser la création. Joseph Schumpeter sera ainsi bien suivi…