Le Coronavirus a frappé. La pandémie ne cesse de gagner du terrain. Pas de remède efficace ni de vaccin avant 12 à 18 mois nous disent les experts. Non seulement nous sommes désarmés face à cet ennemi létal mais nous ne savons pas combien de temps nous serons pris en otage. Il faut donc planifier pour le pire.
L’économie mondiale chavire vers une crise profonde pour laquelle les remèdes sont à inventer. Les Etats surendettés ne pourront pas lui opposer une relance budgétaire. Les banques centrales aux bilans gonflés par le « quantitative easing » ne pourront recourir indéfiniment, avec un taux d’intérêt nul, aux solutions monétaires.
La situation chez nous est pire. Nos finances publiques sont dans une piètre situation. Nos gouvernants précédents l’ont ruinée. Pour des chimères électoralistes et par lâcheté politique, ils ont renoncé aux réformes et abdiqué face aux rentiers bureaucratiques. Pour une poignée de milliers dinars finançant leurs campagnes électorales, ils se sont vendus aux rentiers mercantiles.
Il ne faut pas trop compter sur la planche à billet. Cela torpillera notre pauvre monnaie dans un tourbillon inflationniste vu notre contexte de stagflation perdurant. De même, une fiscalité extractive supplémentaire mettrait les créateurs de richesses à genou au grand bonheur des grands barons de l’informel peu inquiétés par une bureaucratie corrompue.
Aux circonstances exceptionnelles et dramatiques que nous vivons, il faut oser des remèdes innovants, forts et en surdose. Seul un sursaut de solidarité envers les démunis, par la classe moyenne et surtout la classe aisée, nous sauverait. Le sacrifice doit être partagé par tous, État, ménages et entreprises. Face au péril économique, il faut voler aux secours de nos entreprises et de nos professionnels. Dernier rempart contre la dépression qui nous guette.
Freiner la récession actuelle
L’économie, comme la société, doit rentrer en hibernation. Seules les fonctions vitales demeureront en activité. Alimentation, Santé, Sécurité, Électricité, Eau, Assainissement, Telecom…
Le confinement limite la consommation au minimum vital pour toute la société. Riches et pauvres, nous luttons pour notre survie. Dans ces circonstances dramatiques, nous ne pouvons opposer à la récession que notre abstinence et frugalité. Elles sont les meilleurs antidotes contre la décroissance imposée par le virus Corona.
A l’échelle macro, opposons au recul du PIB (moins de produit), un régime draconien des trois agents consommateurs : l’Etat, l’entreprise et les ménages,
A l’échelle micro, à la baisse des produits, réagissons par un soulagement des principales charges rémunérant les facteurs de productions travail et capital : salaires, charges sociales, intérêts financiers, amortissements et impôts.
Un des rares points de convergence entre les économistes classiques et keynésiens c’est l’importance du levier de la demande pour relancer l’économie à court terme ou, plus rigoureusement dans notre situation, freiner la récession actuelle.
La relance de la production agroalimentaire et de celle d’utilités courantes, toutes deux produites localement, seraient notre modeste recours pour limiter la crise économique à court terme.
A ce stade, nous ne savons pas combien de temps cette crise va durer ni l’ampleur des dégâts qu’elle va causer. Toutefois, une crise profonde est très probable. Face à ces incertitudes, s’il faut se tromper, il faut le faire alors en agissant par excès. Le regretter ne coûterait que de l’argent. Tant pis. Ne pas en faire assez coûterait beaucoup plus cher sur tous les plans.
Suggestions à creuser
Quelques suggestions à creuser, à approfondir, enrichir et évaluer au cas où, par malheur, le cauchemar viendrait à se réaliser :
1 – Moratoire total sur le service des intérêts de crédit et de dépôts simultanément durant six mois. Le sacrifice des déposants est minime comparé aux pertes subies par les actionnaires et les bourses. Seules des mesures aussi radicales permettraient de limiter les pertes des banques, et par conséquent de préserver leur nécessaire solvabilité, en agissant simultanément sur les produits et charges.
2 – Pour les entreprises en difficulté : nouveaux crédits octroyés avec rang senior, l’encours existant sera relégué en subordonné et enfin, la nécessaire aide publique plafonnée (réservée aux PME) en obligation remboursable quand c’est possible uniquement, avant toute distribution de dividendes.
Ce montage se structure élégamment de lui-même par simple chronologie de remboursement : senior, ensuite junior et Etat pour ceux qui y arrivent. Il serait prudent de reporter les échéances en principal pour les CMT en bout de chaîne. Le report massif des échéances de six mois ne fera que renvoyer les difficultés à plus tard. La crise économique survivra au Coronavirus ; la reprise sera lente. Les cash-flow des entreprises ne suffiront pas à rembourser le tout en si peu de temps.
3 – Faire preuve de réalisme. Profiter de la crise pour laisser couler les entreprises zombies qui étaient déjà en difficultés et ce sur initiative du promoteur, à l’amiable et facilité par l’administration. Ils sont hélas nombreux chez nous. Ils n’auront de toute manière aucune chance de survivre à la grave crise qui se profile. Les dégâts seront de la sorte limités, les ressources humaines, techniques et financières redéployées sans gaspillages excessifs et inutiles. Les américains ont leur mantra pour cela : « Stop beating a dead horse ».
4 – Distribution « hélicoptère » à toute la population d’un Smig par mois durant six mois. Cette population doit rester confinée chez elle obligatoirement.
Le salaire de nos héros du secteur de la santé qui risquent leur vie doit être quadruplé. Ceux des fonctions vitales doublé durant cette période. La croissance de ces activités vitales citées ci-dessus sera tirée par les smig distribués à l’ensemble de la population. Par les entreprises à ses salariés (plus d’un smig pour celles qui le peuvent), les administrations à ses fonctionnaires, les caisses sociales aux retraités. Le reste de la population sera couvert par l’Etat, un smig par mois au moins (plus si famille nombreuse) pour chaque famille nécessiteuse. PDG et ouvriers, tous des smigards tout au long de la crise.
5 – Comprimer les charges des entreprises, faire une entorse à la comptabilité, amortissement zéro pour toute la période d’activité ralentie ou à l’arrêt. Moins de charges salariales et contributions sociales, pas de charges financières, pas d’amortissement. Par ces entorses à l’orthodoxie, un grand nombre d’entreprises en hibernation seront sauvées. Consommer moins, avoir plus de temps à soi et à sa famille, nous fera beaucoup de bien.
En temps de guerre pour la survie, a-t-on réellement besoin de voyager, d’aller au restaurant, d’assister à un match de foot. Mieux vaut une décroissance heureuse qu’une consommation effrénée. Cassons la spirale vertigineuse du consumérisme sans fin –fut-il le temps d’un confinement. Après tout, nos ancêtres ont vécu pendant des millions d’années en chasseurs-cueilleurs. La boulimie consumériste est un épiphénomène tout à fait récent. Essayons donc la frugalité juste quelques mois. Pendant ce temps, nous respirerons enfin de l’air pur et cela fera tant de bien à notre planète Gaia si malmenée.
(Tribune de Samir Saied publiée sur les colonnes de l’Economiste Maghrébin n° 790)