Si le confinement de la population et la suspension de l’activité de plusieurs secteurs non vitaux de l’économie ont été des décisions difficiles mais nécessaires pour contenir la pandémie du COVID 19 et préserver des milliers de vies à l’échelle nationale, il est opportun aujourd’hui d’essayer d’en évaluer le coût et revoir l’efficacité des remèdes économiques et sociaux.
En Tunisie, le nombre officiel des contaminations ne dépasse pas encore le millier au moment où nous mettons sous presse. Il est prudent de penser qu’on est encore en phase ascendante en comparant le pourcentage de contaminés par population par rapport aux pays où la courbe a commencé à plafonner. Cela veut dire que si les autorités veulent poursuivre la stratégie prudente et nécessaire d’aplatissement de la courbe, on devrait être loin de la sortie de l’état de confinement. Les dégâts sont faciles à qualifier mais ô combien difficile à quantifier. Nous sommes en présence d’une crise sans précédent où l’état de confinement sape une bonne partie de l’édifice productif et atrophie l’offre.
La demande en pâtira aussi à cause des pertes d’emplois qui en résulteront et de la détérioration prononcée du pouvoir d’achat. Le scénario est le même pour les pays développés et ceux en voie de développement mais l’amplitude peut varier au grand détriment de ces derniers. Contraction du PIB, chômage en hausse, détérioration du pouvoir d’achat, avec cette précision près que les secteurs touristique et de l’export en pâtiront même après la reprise d’une certaine normalité.
Si l’UE, premier partenaire économique, table sur une contraction de 10% pour l’année de 2020, il serait miraculeux si la Tunisie finisse l’année uniquement sur –4.3% du PIB comme le projette le FMI. Les outils immédiats disponibles pour faire face à cette situation sont l’action monétaire par les taux d’intérêt en plus des interventions de la Banque centrale sur les marchés monétaires d’une part, et le stimulus budgétaire pour revigorer à la fois offre et demande. Ceci à l’aide de dépenses directes, dons, prêts et garanties. S’il est difficile aujourd’hui de dire jusqu’où faire monter le curseur, on peut tout de même se référencer et se comparer avec ce qui se fait ailleurs.
Une action monétaire atone
Les Banques centrales sont souvent les premières à devoir agir vite et fort. Contre cette situation sans précédent, on a vu les grands argentiers mondiaux baisser drastiquement les taux d’intérêt pour ceux qui le peuvent encore (USA, UK). Tout en renouvelant ou en renforçant les politiques accommodantes de « quantitative easing ».
En Tunisie, l’action entreprise jusque-là par la BCT reste malheureusement atone. Elle laissera ménages et entreprises sur leur faim. Il est difficile de voir par quel miracle ramener le taux directeur de 7.75 à 6.75%. Cela fournirait la soupape nécessaire pour permettre aux agents économiques de respirer, sachant l’ampleur de la baisse des revenus qui les attend. Le contre-argument serait bien entendu l’inflation.
Ce contre-argument ne tient pas la route pour trois raisons. La première est technique. Puisque que rien qu’en février l’inflation annualisée est passée à 5.9% contre 7.3% l’année précédente. Ce qui implique que 1% de baisse du taux directeur aurait dû être un ajustement de routine en dehors de la crise qui s’annonce. Et vu la croissance atone que le pays a enregistrée l’année dernière.
La deuxième raison est idéologique. Nous avons pour notre part bien des raisons de penser que les causes de l’inflation subie post-révolution ne sont pas dues à un excès de la demande ou à une surchauffe de l’investissement. Ces causes sont plutôt à rechercher du côté des circuits de distribution légaux et illicites et de la perturbation de la production nationale.
Enfin, la troisième raison pour laquelle la BCT doit agir d’une manière significative sur son taux directeur est de nature pratique. Baisser le taux directeur de 300 points de base supplémentaires sauverait des milliers d’entreprises. Il améliorerait considérablement la situation des ménages qui font face à beaucoup d’incertitudes. Si à la sortie de cette phase critique, l’inflation revient, la BCT aura toute latitude de renverser la vapeur au gré des indicateurs.
Une modeste enveloppe budgétaire
Le plan de sauvetage présenté en période de confinement par le gouvernement est évalué à 2.5 Milliards de dinars soit 2.15% du PIB. Une enveloppe que d’aucuns qualifient de modeste pour ne pas dire sans grand relief. Il s’agit, certes, de beaucoup d’argent au regard des moyens du pays. Il n’empêche, il faudra être plus courageux et plus ambitieux. L’enveloppe inclut les aides, prêts et autres garanties.
A peine plus de 2% du PIB reste en deçà de ce qui est nécessaire si on la compare aux 1.5 Milliards de dinars de masse salariale mensuelle des fonctionnaires du service public. Si on passe en revue la taille des plans mis en place par les Européens ou les Américains qui ont ratifié des stimuli largement supérieurs à 10 % du PIB allant jusqu’à 20 % pour les Etats-Unis.
Le gouvernement doit le plus tôt possible revenir à la charge avec un plan plus ambitieux et le faire voter par l’ARP pour lui donner plus de légitimité politique sur le plan national et international. Car on l’aura compris, il faudra le vendre au FMI, instance qui serait plus que jamais importante pour sortir de cette crise.
Le FMI s’affaire déjà à trouver des solutions non conventionnelles pour aider les pays émergents qui seront lourdement affectés. Il faut savoir oser pour en profiter pleinement afin de dépasser cette crise de coronavirus et du confinement et d’en sortir plus forts et mieux équipés. Il y va du redressement de notre économie, de la pérennité de notre protection sociale et de l’édification de notre jeune démocratie.
O.B.S