Le Conseil de sécurité nationale s’est réuni vendredi 17 avril au Palais de Carthage et a décidé la prolongation du confinement. La dernière décision dans ce domaine remonte au 31 mars où il a été décidé que les Tunisiens garderont la maison pendant deux semaines.
En Tunisie, on ne peut pas ne pas être pris de panique à la lecture du communiqué du Conseil de sécurité nationale et à l’écoute des tirades creuses et vides de sens du Président de la République du genre : « De nouvelles mesures et décisions seront examinées, relatives notamment à la situation sanitaire, économique, financière et éducative », ou encore « Toute décision prise sera collective et dans le cadre du respect total des instituions de l’Etat »…
Nous ne sommes plus au stade de l’appréhension, de l’inquiétude et de la peur. C’est désormais la peur panique qui étreint le corps social tunisien. Une peur panique alimentée par le fossé vertigineux entre l’énormité des problèmes à résoudre et la petitesse des moyens matériels et humains dont dispose le pays. Entre l’incroyable accumulation des difficultés et des obstacles de toutes sortes et la pénurie ahurissante des compétences pour y faire face. Le bateau-Tunisie tangue. Il est battu par les flots. Le bateau-Tunisie affronte des vagues de plus en plus hautes. Il attend toujours le vrai commandant pour le sauver du naufrage.
La course contre la montre pour éviter le naufrage était engagée bien avant l’irruption du Coronavirus. De sorte que quand la pandémie survint, nous étions déjà à bout de souffle et la pente était devenue plus raide.
Des questions brûlantes
Maintenant, les priorités et les défis ont changé de nature. Les problèmes de chômage, de déficits budgétaires et de croissance aussi intenses soient-ils, semblent relégués au niveau de simples points de détail. Nous faisons face à une situation cauchemardesque sans précédent dans l’histoire moderne du pays : le risque de voir nos modestes moyens de production réduits à néant. Le risque de voir crouler nos PME, la colonne vertébrale de l’économie, sous l’effet conjugué du confinement et des difficultés multiformes accumulées à longueur d’années.
Il est vrai que, comme la plupart des pays du monde, nous sommes terriblement tiraillés entre la nécessité impérieuse de reprise du travail et l’impératif d’empêcher la propagation du virus. Mais ce dilemme ne doit pas nous empêcher de poser les brûlantes questions : combien notre appareil de production tiendra-t-il dans cet état de confinement quasi-général ? L’Etat a-t-il réellement les moyens de tenir ses promesses d’aide à la fois aux familles impécunieuses et aux entreprises au bord de l’effondrement ? Les millions de citoyens réduits à l’oisiveté forcée et à l’emprisonnement chez eux tiendront-ils longtemps le coup matériellement et psychologiquement ?
On semble négliger une évidence : il n’y a pas que la pandémie qui tue. On meurt de plein d’autres graves maladies dont le traitement est maintenant largement ignoré dans les hôpitaux publics. Dans les cliniques privées. Et même dans les cabinets de médecins spécialistes et généralistes dont beaucoup ont mis la clé sous la porte. On meurt de la pauvreté, de la faim et de la violence. La violence qui explose dès que le degré de privation et de misère devient intolérable.
Mais où est donc passé l’Etat ?
Et que fait la classe politique, celle-là même qui s’est trouvée aux commandes du pays, face à cette accumulation effrayante de défis ? Un président accro aux escapades nocturnes, bravant les règles élémentaires du confinement et mettant en danger sa propre sécurité et celle des citoyens.
Un chef de gouvernement dont on ne sait trop où il est ni ce qu’il fait. Un ministre de la Santé omniprésent et dont la surmédiatisation trahit les ambitions politiques personnelles beaucoup plus que les soucis de service public. Un député qui profite de ses amitiés ministérielles pour rafler les avantages sonnants et trébuchants de l’appel d’offres pour la fabrication des bavettes auquel il n’a nul droit. Un autre député fulmine, tonne et explose, exigeant l’inscription sans délai à l’université d’un terroriste notoire, l’ancien porte-parole de « Ansar Chariaa ». Son collègue de même souche politique réduit la pandémie à une punition divine infligée à ceux qui refusent le ‘niqab’…
La peur panique que la plupart des citoyens ressentent ne peut que s’accentuer par la terrible impression de l’absence de l’Etat. Où est l’Etat quand quelques dizaines d’énergumènes s’opposent à l’enterrement d’un mort du coronavirus ? Où est l’Etat quand une racaille qui se prend sérieusement pour une « armée blanche » refuse bruyamment l’hospitalisation à Médnine d’une patiente atteinte du virus aux cris de « dégage Corona » ?
Avec un Etat inscrit aux abonnés absents et une classe politique dont la compétence est la chose qui la distingue le moins, la Tunisie est en danger. Le même danger que court un navire sans gouvernail ni capitaine, voguant au milieu d’une forte tempête.