L’installation de la crise du Covid-19 en Tunisie a très vite amorcé un élan de solidarité et un sens développé de citoyenneté d’exception. Nombreuses ont été les compétences de tout bord qui se sont dévouées en proposant leur savoir- faire au service de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Du volontariat, en l’occurrence à travers la mise en place d’initiatives profitables à l’adresse de cibles variées. Project Corona Tunisie est l’une de ces initiatives dont les instigateurs sont de jeunes compétences tunisiennes. Elles souhaitent mettre à profit leur savoir-faire, de manière totalement gracieuse. Et ce, afin de se joindre aux efforts déployés, notamment par les autorités publiques. Ultime but donc: apporter sa contribution à la lutte contre à une pandémie; dont la gestion demeure complexe et requiert des moyens colossaux.
Ainsi, Mariem Bouchaala et Imen Said sont statisticiennes de leur état et basées respectivement à Londres et à Paris. Elles font partie de l’équipe fondatrice du Project Corona Tunisie. Elles nous livrent dans ce qui suit les schémas de la conception du site ainsi que sa philosophie.
Une crise fertile en idées
En effet, lidée est née dans les songes de Dr. Mehdi Bali, avocat et chef de projet. Il souhaitait faire une contribution originale dans cette crise. Il fait appel à son amie Mariem Bouchaala. Et ce, afin qu’elle développe des modèles d’estimation du nombre de cas Covid-19 en Tunisie. A son tour, Mariem fait appel à son amie Imen Said pour qu’elle se joigne au projet.
Puis, le Dr. Mehdi Bali complète l’équipe en y intégrant: Achref Ammar, un programmeur et entrepreneur web basé à Londres; Fatouma Bali, chargée Médias; et Khedija Kchouk, traductrice. Des électrons libres indépendants qui ont fait naître ce projet à distance; dans l’optique d’une initiative de diaspora tunisienne.
« Nous sommes totalement des volontaires sans avoir aucun sponsor ni organisme derrière nous. Nous nous attelons à notre tâche sur le site web à nos heures perdues », explique Mariem Bouchaala.
Et Imen Said de poursuivre: « Nous profitons de tous les moyens digitaux qui sont à notre disposition pour communiquer et effectuer notre mission sur le Project Corona Tunisie. Les tâches sont partagées de manière naturelle en fonction des compétences de chacun d’entre nous. Nous sommes partis sur un produit professionnel, utile, ayant un sens technique, robuste. Et répondant à une demande qui se profile sur un court horizon. »
Bien qu’ils soient compétents dans ce domaine, l’équipe du Dr. Mehdi Bali est allée jusqu’à chercher des feedbacks auprès d’experts des statistiques et de l’Institut Pasteur; à l’instar du Professeur Slimane Ben Miled.
Un contrôle quotidien
Depuis, le site est en ligne, il est mis en place et est actif. Place maintenant au « daily monitoring ». Une mission délicate qui requiert une travail minutieux de tous les instants.
A ce propos, Mariem Bouchaala explique: « Le daily monitoring est très intéressant dans son volet suivi. Car notre modèle est conçu de manière très dynamique. Nous n’avons pas fixé de paramètres statiques. La méthodologie est fixe mais les paramètres sont actualisés quotidiennement. Cela signifie que tous les jours nous avons une nouvelle estimation de nos projections. Ici, le challenge le plus important est de pouvoir disposer de données fiables. De surcroît lorsqu’il s’agit d’une modélisation effectuée pendant une crise tel que c’est le cas actuellement. Il est crucial pour nous de mettre à disposition des parties prenantes un outil performant. C’est pourquoi, il importe de traiter les indicateurs avec beaucoup de précaution. »
En outre, « la question est d’autant plus fragile que l’interprétation de données avec projections dans un contexte de crise ne peut pas être fiable à 100%. Cela justifie d’autant plus notre contrôle quotidien qui permet de vérifier les résultats obtenus. Et ce, en comparant les projections avec les observations réelles; à travers les analyses rétrospectives effectuées (backtesting) », poursuit-elle.
Une méthodologie évolutive
« Les résultats des projections sont très volatiles lorsque l’on compare entre des pays adoptant des stratégies de lutte différente. La France, l’Allemagne et l’Italie en sont une bonne illustration », commente Mariem Bouchaala.
A juste titre, si l’on fait face à des méthodologies différentes de recensement de cas Covid-19 et du nombre de décès, peut-on établir des comparaisons fiables et pertinentes?
A cette interrogation, Imen Said rétorque: « Il faut savoir aussi qu’au sein même d’un seul pays, la méthode de comptage évolue. Par exemple, dans un premier temps, seuls les décès constatés au sein des hôpitaux étaient comptabilisés. Dans un deuxième temps, ce comptage a été élargi aux maisons de retraite… »
« En fait, nous n’avons pas suffisamment de recul afin de pouvoir adopter avec certitude une méthodologie unique. C’est d’ailleurs pour cette raison, que pour notre part nous avons décidé de choisir un modèle dynamique. Également, nous avons mis en place un système de notation de la gestion de crise. Il permet d’établir une comparaison à certaine mesure. Je rappelle que notre but premier est de mettre à la disposition des concernés un outil d’aide à la gestion de crise et pouvoir simuler différents scénarios ».
Une cible variée
C’est donc une mission aux allures de noblesse et d’utilité publique que s’est donné le Project Corona Tunisie. S’ajoute à ces allures distinguées, une cible visée qui renferme: aussi bien les autorités sanitaires, à l’instar du ministère de la Santé; que le grand public en la personne du simple citoyen curieux de s’informer et de se renseigner sur une pandémie inédite sous nos cieux.
A cet effet, Mariem Bouchaala indique: « Nous ciblons d’abord le simple citoyen. Nous l’aidons par ce fait de mieux intégrer les décisions du gouvernement en rapport avec la gestion de la crise du Covid-19. Nous lui apportons également des éclairages sur comment se passe cette même gestion dans d’autres pays. Aussi, nous lui offrons la possibilité de prendre acte des évolutions quotidiennes de la situation. Lesquelles sont fortement impactées par son comportement de citoyen. C’est quelque part un acte de sensibilisation. Nous nous adressons en outre aux autorités publiques. L’objectif étant de les aider dans la gestion de cette crise en se renseignant sur les différents scénarios, les projections, les impacts sur les hôpitaux, etc. Pour résumer, il s’agit de: l’information, la simulation et l’aide à la gestion. »
Bien qu’ils soient scientifiques et techniciens, les membres de l’équipe du Project Corona Tunisie ont œuvré pour une certaine vulgarisation du contenu du site. Et ce, afin de permettre à tous d’accéder à l’information.
Des projections à court terme
D’ailleurs, Mariem Bouchaala ajoute: « Nous avons été informés par les professionnels de la Santé que la majorité du nombre des décès Covid-19 ont été constatés dans les hôpitaux aux soins intensifs. Cela signifie que nous pouvons estimer le nombre de places nécessaires au sein de ce service. Nous faisons des projections sur une dizaine de jours. Le choix de cette périodicité est dû au fait que nous n’avons pas suffisamment de recul. Etant en pleine crise, nous ne pouvons pas faire des projections sur des semaines ». « Il ne s’agit pas de modéliser la pandémie », dira Imen Said.
Si tout ce travail d’importance capitale prendra fin avec la fin de la crise. Pour autant, l’action peut se poursuivre dans une optique d’accompagnement du ministère de la Santé. Et ce, après qu’une modélisation de la pandémie serait mise en place. Elle servira à préparer les structures concernées dans l’avenir. Et ce, afin de faire face à des situations similaires. En faisant de la prévention et en tirant les enseignements qui s’imposent du passage de la crise sanitaire du Covid-19.