Pourquoi devons-nous rester très éveillés politiquement, économiquement et socialement en Tunisie par rapport au reste du monde? Clairement, il y aura un après COVID-19. Il sera universel et donc touchant à tous les aspects de notre vie actuelle. Mais avant l’après, il y a un pendant et c’est sur cette période que se base cette réflexion. Elle se concentre notamment sur les aspects politiques et économiques de la crise.
En effet, l’impact de cette crise sanitaire du Covid-19 sur l’économie mondiale est et sera de plus en plus important. Dow Jones, Nasdaq, CAC40, Nikkei… ont tous un point en commun: ils sont en chute libre continue.
Ainsi, les indices boursiers indiquent cette fois une crise économique majeure et une récession inévitable. En France, le ministre de l’Économie et des Finances parle de la pire récession; et ce, depuis la Seconde Guerre Mondiale.
Quant aux Etats-Unis, ils déploient un plan de sauvetage de 2000 milliards de dollars. Un plan monstrueux qui vaut deux fois plus que le méga projet chinois des nouvelles routes de la soie. Et qui est censé centraliser l’emplacement de la Chine dans le monde… Il s’agit d’un montant tout simplement phénoménal… Paradoxalement, cette somme aura un prix…
Effectivement, les pays développés attendent des dégâts considérables. Lesquels vont se répercuter inévitablement sur les nations en développement et donc sur la Tunisie.
Le spectre du scénario grec
Alors, le gouvernement devra réagir pour amoindrir une crise sociale à venir et sans échappatoire. Ce qui est certain c’est que nous allons opter pour l’endettement. Et c’est là que commencent les inquiétudes et où il faut émettre une première alerte.
Rien de mieux pour illustrer ces propos qu’un exemple de la dangerosité des prêts exagérés en période de récession.
Nous sommes au lendemain de la crise des Subprimes, à Sidi Bou Saïd de l’autre côté de la Méditerranée, en Grèce. Suite à la crise de 2008, le monde entre en récession et cela aggrave le déficit public grec (nous sommes déjà en déficit). D’où la crise économique et financière sans précédent pour le pays. La Grèce s’est donc couverte de dettes auprès des fonds internationaux tels que le FMI, la Banque centrale européenne etc.
Ce qu’il faut savoir c’est que lorsqu’on demande des prêts, on se soumet à des conditions qui vont garantir plus ou moins le remboursement du prêt. Mais qui ne tiennent pas compte, pour la plupart, de l’impact socio-économique de ces derniers sur le pays.
La Grèce a dû alors mener des politiques ultralibérales et d’austérité. Pour illustrer ces politiques, voici quelques exemples:
- Gel puis baisse des pensions de retraite avec 40% en moyenne depuis 2010;
- L’âge de la retraite a été repoussé de deux ans;
- Neuf fonctionnaires sur dix n’ont pas été remplacés;
- Baisse des salaires et retraites des fonctionnaires (Revue à la baisse près d’une vingtaine de fois);
- Privatisations massives des infrastructures et sociétés publiques. On parle ici des ports (cession du port du Pirée à un géant chinois), des aéroports, de la poste, de l’énergie et même des banques;
- Licenciement massif des employés suite à cette privatisation;
- Augmentation de la TVA de 4%;
- Durcissement des critères pour les allocations sociales.
Le cycle infernal de l’endettement
Nous pouvons citer des dizaines d’autres exemples. Mais je pense que ceux-là suffisent déjà pour tirer la sonnette d’alarme et à penser un minimum à la gestion des prêts post coronavirus pour notre pays. C’est ce scénario qui est susceptible de se reproduire en Italie, en Espagne, en France. Mais surtout en Tunisie si on ne prend pas les précautions nécessaires.
Nous sommes déjà endettés et subissions les pressions du FMI depuis bien avant le coronavirus. Je rappelle qu’en 2019, le FMI demandait déjà la diminution de la masse salariale. D’où de nombreuses grèves menées notamment par l’UGTT.
Il se pourrait donc qu’on partage un peu plus d’aspects que le décor et le climat avec la Grèce d’ici quelques années.
Covid-19 et stratégie de choc
Maintenant, parlons de conséquences politiques que nous sommes déjà en train de ressentir pour certains et de percevoir pour d’autres. A savoir: la montée en puissance de la stratégie de choc. « Nous sommes en guerre« / « Against an invisible enemy« / « Ou maa baadhna nerb7ou el 7arb« (Gagnons la bataille ensemble). Voici un petit mixte de discours qui résume bien une stratégie de choc partagée à travers le monde. Et ce, pour faire prendre conscience aux populations de la gravité de la situation. Quand c’est une métaphore, c’est sympa. Mais quand ces termes deviennent réalités, c’est problématique. Car en réalité, nous ne sommes pas en guerre.
Une guerre par définition est une lutte armée entre Etats considérée comme un phénomène historique et social. Cette pandémie est certainement historique, mais n’est pas une guerre. C’est un état d’urgence sanitaire.
Nous devons donc nous focaliser sur la santé plus qu’autre chose. Ce qui inquiète lorsque cette expression est utilisée sans cesse, c’est qu’elle implique des politiques répressives et oppressantes qui ne vont s’adoucir qu’au terme de cette pandémie Covid-19. Or nous n’avons aucune idée quant à la fin de cette dernière.
On commence déjà à remarquer certaines bavures policières en Tunisie et un changement de ton considérable de la part des forces de l’ordre. Les traumatismes de notre société se réveillent petit à petit…
Il ne s’agit pas de s’opposer à un durcissement des mesures de confinement. Mais personne ne semble s’inquiéter quant à la question d’un retour vers l’Etat policier.
Il y a une semaine, on observait une certaine ambition de passer une loi au parlement permettant de protéger les députés contre les critiques sur les réseaux sociaux.
Petit tour d’horizon
Aujourd’hui on parle aussi de délégation de pouvoir au chef du gouvernement mais jusqu’à quand? Faisons un petit tour dans le monde pour émettre la comparaison sur ce plan:
- Le premier ministre de Hongrie profite de l’état d’urgence sanitaire lui donnant les pleins pouvoirs. Ceux qui protestent sont accusés par le gouvernement d’être du côté du virus.
- En République Tchèque, on impose un strict contrôle d’internet et un enregistrement de tout ce qui s’y passe notamment pour faire du Tracking. Une politique à la chinoise mais au nom de la prévention de la pandémie.
- En France, pays des droits de l’Homme, on parle de ce fameux Tracking. Il permettrait de suivre les personnes infectées. Mais il n’est pas encore mis en place en raison de la violation des données personnelles que cela représente.
- Quant à l’écologie et pour ceux qui ont vu apparaître des dauphins dans leurs salles de bains et des dinosaures dans leur jardin, sachez que cela ne va pas durer et que le pire est à venir.
En effet, la Chine et les Etats-Unis ainsi que d’autres pays européens cherchent à abandonner toute ambition écologique au nom de la relance économique à grands renforts d’énergies fossiles et de soutiens aux multinationales.
En temps de crise, tout est possible comme le dit l’économiste Milton Friedman dans A tyranny of the status quo: « There is enormous inertia –a tyranny of the status quo- in private and espescially governmental arrangements. Only a crisis –actual or perceived- produces real change. When that crisis occurs, the actions that are taken depend on the ideas that are lying around. That, I believe, is our basic function: to develop alternatives to existing policies, to keep them alive and available until the politically impossible becomes politically inevitable. »
Cet extrait permet d’expliquer pourquoi il faut prévenir une éventuelle débâcle économique, politique et sociale. Nous sommes loin d’être un cas particulier. C’est pour cela qu’il faut tirer les leçons de ce qui se passe ailleurs. Le point « positif » de cette pandémie du Covid-19 c’est qu’elle n’a pas atteint tous les pays en même temps; mais à des intervalles de temps différents.
D’autres sont dans un stade plus avancé que nous dans la crise. Et cela permet de mieux appréhender les futures décisions à prendre ainsi que les erreurs à éviter.
Il faut une prise de conscience des risques qu’on encourt et qui ne sont pas que sanitaires. Cette crise va changer certainement les modes de gouvernance avec une montée en puissance de l’autoritarisme à travers le monde. Et même dans des pays qui jusque-là étaient considérés comme pays démocrates libres.
Bref, cette crise du Covid-19 aurait pu être évitée dès son apparition si la propagation exponentielle du virus avait été maîtrisée à temps.