On peut faire de cette crise Covid-19 une opportunité exceptionnelle et un point de départ pour la construction d’un nouveau modèle de développement et un nouveau contrat social. Pour cela, il faut une véritable rupture avec les politiques et les stratégies en vigueur.
Ce sont les principales conclusions du quatrième Webinar organisé par l’initiative Econ4Tunisia dans la soirée du vendredi 1er mai 2020 et animé par l’universitaire et journaliste RTCI Anis Morai. Le débat sur la crise du Covid a regroupé, autour de la présentation du Rapport de la Banque mondiale sur la transparence pour la région MENA par Rabeh Arezki, l’économiste en chef de la région MENA, plusieurs économistes et experts tunisiens.
Au moment où nous entamons le déconfinement, les défis économiques et sociaux seront au cœur de des débats. À nous de faire preuve de courage, d’audace et d’innovation.
Intervenant sur le lien entre la crise et la croissance et le financement, Noureddine Hajji a souligné que l’Etude de la Banque mondiale sur l’importance de la transparence pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord a pointé du doigt le manque de transparence en relation avec la croissance économique. Pour lui, comparer la Tunisie avec tous les pays de la région MENA est injustice. « On ne peut pas comparer la Tunisie qu’à deux ou trois pays de la région MENA », souligne Noureddine Hajji.
Libérer l’innovation
Ouvrant le débat à ce sujet, Rabeh Arezki a souligné que la pandémie du Covid-19 a provoqué et provoquera une double crise avant et après le coronavirus. Cette crise a mis les travailleurs, notamment ceux de l’informel, dans une situation difficile suites aux tensions du confinement avec l’absence des revenus. « Dans la région MENA, l’accès au financement n’est pas propice à l’essor du secteur privé », souligne Rabeh Arezki.
Et d’ajouter que l’économie mondiale est presque à l’arrêt notamment avec la baisse de la demande sur le pétrole et les transferts des migrants. Le contexte mondial est marqué par un flux de capitaux sortants vers les pays les plus sûrs.
La région MENA a été marquée, durant le confinement, par des incertitudes causées par l’absence des entreprises publiques et l’exclusion de la sphère économique formelle. Cela a créé une volatilité des marchés financiers et des mouvements de panique.
Pour faire face à ces incertitude, Rabeh Arezki souligne qu’il faut assurer le tissu économique, faire face à la contrainte budgétaire et traiter la situation avec le plus grand sérieux. « Il faut innover pour trouver des solutions aux difficultés », ajoute Rabeh Arezki.
Optimiste, Rabeh Arezki a souligné qu’il y a, malgré l’ampleur de la crise, des opportunités à saisir dans les pays de la région MENA notamment au Maghreb. Il faut selon lui exploiter le capital humain. Après le Covid, l’urgence consiste à libérer l’innovation, accompagner la vague de la créativité, trouver un système universelle et d’autres mode de financement.
Covid-19 : le Triple choc
Leila Baghdadi, maître de conférence à l’Université de Tunis, a, dans son intervention, évoqué l’impact de la crise Covid-19 avec son triple chocs et l’impact de la baisse des prix du pétrole suite à cette pandémie.
Selon des récentes estimations, l’impact pour la Tunisie de cette baisse est de 3% de revenu net. « C’est un faible impact positif qui sera balayé par l’impact du choc de la crise sur le tissu économique », estime Leila Baghdadi qui a souligné que l’intégration de la Tunisie dans la chaine de valeurs internationale est un avantage.
Pour Leila Baghdadi, la crise a provoqué un triple choc. Il s’agit de la perturbation de la production, la contagion au niveau de la chaine de valeur mondiale et un choc au niveau de la demande finale.
Pour la Tunisie, cette demande se situe en Europe. Tous ces éléments remettent en cause le faible effet positif de l’impact de la baisse des prix du pétrole sur l’économie tunisienne.
Evoquant l’économie tunisienne, Habib Zitouna, professeur à la Faculté des sciences économiques et de gestion de Nabeul, a souligné qu’elle a plusieurs vitesses (secteur privé, secteur publique, informelle…). Il y a aussi des écarts entre les catégories sociales et entre les entreprises. Par exemple, le secteur privé a subie de plein fouet l’impact de cette crise. Cela pourrait faire apparaitre un risque de rupture du pacte socio-économique entre les syndicats, les patronats et le gouvernement. « Nous sommes encore dans des discours corporatistes à court terme », a fait observer Habib Zitouna.
Quelles considérations microéconomiques ?
Au plan microéconomique, Mme Asma Bouraoui khouja, Team leader Inclusive Growth and Human Development (PNUD Tunisie) a souligné que la crise a eu impact sur les populations vulnérables en Tunisie. Cela a été marqué par une fragilité économique et sociale avec notamment l’accroissement de la violence et la détresse économiques et sociales accompagnés de licenciements notamment chez les femmes et les travailleurs journaliers.
Que faire ? Pour faire face à ces conséquences désastreuses, il faut protéger la population à travers le renforcement de la protection sociale, la protection des emplois et des PME et TPE, penser à l’après Covid, accompagner le tissu productif et être le plus inclusif possible. En réponse immédiate à la crise, il faut selon Mme Asma Bouraoui Khouja, soulager les tensions sur les entreprises et les populations vulnérables. Et ce à travers les réformes avec l’adoption d’un nouvel « Business model » plus humain avec des solutions des financements alternatifs axés sur la communauté.
Asma Bouraoui Khouja n’a pas manqué de souligner l’importance de la digitalisation comme piste en vue de garder les marchés, de l’économie sociale et solidaire pour réduire les inégalités et les vulnérabilités et de la transparence de l’information comme aspect fondamental pour pouvoir bien cibler et viser pour bien orienter les aides sociales.
Toutefois, la digitalisation pourrait pour l’économiste représentant de l’IRD/Cirad en Tunisie Mohamed Ali Marouani, être confrontée au faible potentiel du télétravail pour certains domaines.
Ce potentiel est estimé en Tunisie à seulement 25%. Parce qu’il y a des inégalités entre les secteurs où ce potentiel est plus important que dans la réalité. C’est pourquoi l’Etat doit donner et renforcer les capacités en matière de digitalisation. Le plus important dans le court terme consiste au renforcement de l’assurance et la protection sociales.
La nécessaire transparence des données
Les panélistes ont aussi mis l’accent sur la transparence des données pour faire face à la crise. Habib Zitouna a, dans ce contexte, a mis l’accent sur l’importance de la transparence des données et des statistiques. « Nous n’avons pas des chiffres exacts sur les catégories vulnérables et sur la situation des banques. Il ne faut pas sous-estimer les risques de la crise », a-t-il précisé.
L’économiste Habib Karaouli est revenu sur l’importance de la transparence des données et de la gestion. Il a indiqué qu’il y a un problème de volonté des décideurs à ce niveau. Le numérique pourrait résoudre plusieurs problèmes comme la gouvernance des administrations et la bureaucratie. Il a, en outre évoqué, la problématique des inégalités et des fragilités des catégories au niveau régional.
« Les pouvoirs ont-ils pris les mesures nécessaires face aux enjeux ? S’interroge Habib Karouali qui a souligné que ce qui a été proposé est très peu. Les 2,5 milliards de dinars sont nettement insuffisants et les mesures prises sont contraignantes aux entreprises. Et d’ajouter qu’il y aussi une possibilité de corruption dans la distribution des aides et ce par manque de transparence. De plus, Habib Karaouli s’est interrogé sur le non report des échéances et l’annulation de la dette tunisienne.
Pour clôturer son intervention, Habib Karaouli a recommandé de mettre en place un plan de relance et de transition pour une société plus résiliente aux chocs. Il faut aussi faire preuve d’innovation avec une transition numérique et énergétique.
Année blanche pour le tourisme tunisien
Intervenant sur la question des mesures de soutien aux entreprises, Mme Mouna Ben Halima, Fondatrice et PDG de l’hôtel « La Badira » et membre exécutif de la FTH, a tenu à souligner le fort impact de la crise sur le tourisme. Elle considère que le secteur touristique et le plus impacté. Il sera le dernier à être concerné par la relance.
« Aucun salarié ni entreprise en cessation d’activité n’a eu un dinar ! », regrette-t-elle. Sur ce même point, Noureddine Hajji n’a pas manqué de souligner aussi que le pays a fait des annonces avec montants faibles.
Intervenant sur l’impact de la crise du Covid-19 sur le secteur touristique, l’ancien ministre du Tourisme Slim Tlatli a tenu à souligner que 2020 sera une « Année Blanche » pour le tourisme tunisien. « Il ne faut pas s’attendre à une reprise du secteur avant 2021 », a-t-il estimé.
Et d’ajouter que la demande touristique a beaucoup changé dans le choix des destinations. La santé et l’environnement seront des facteurs déterminants. « Le secteur touristique a besoin d’un soutien massif. Il faut le soutenir pour prépare l’avenir. Cela est valable pour plusieurs autres secteurs. », ajoute Slim Tletli.
Sonia Louzir, Associée Deloitte est revenu sur l’importance de l’innovation et la digitalisation pour faire face à la crise. Elle rappelé l’importance du mobile banking, l’investissement dans le R&D, la créativité et l’investissement dans les secteurs à forte valeur ajoutée.
Une opportunité qui nécessite des ruptures
Evoquant le volet social, l’ancien ministre Hakim Ben Hammouda a souligné que la crise aura un coût d’une récession en Tunisie de l’ordre de -4% de croissance, avec environ 160 000 chômeurs supplémentaires et un taux de chômage de 19%. Il faut 12,7 milliards de dinars pour se situer dans la croissance.
Malheureusement, « nous sommes face à un tsunami. On ne saisit pas l’ampleur de la crise. On parle de cette crise avec d’énormément de facilité. Il est essentiel de faire autre chose. C’est un moment difficile mais c’est une opportunité. Elle nécessite des ruptures avec les priorités et le modèle de développement », regrette Ben Hammouda.