La crise du Covid-19 est inégalée et sans précédent. Aucun schéma de crise établi jusqu’à présent ne lui serait transposable.
Aussi bien les spécialistes que les décideurs restent perplexes devant un certain nombre de questions relatives à cette crise. Des incertitudes portent sur la durée de la crise, sur son intensité et sur certains de ses effets.
La facture économique et sociale de la crise Covid-19 demeure inconnue
Nul ne peut aujourd’hui spéculer sur la valeur de la facture économique et sociale de la crise. Les coûts directs et indirects demeurent incertains. L’impact de la crise sur la production, l’emploi, le pouvoir d’achat, la qualité de la vie, le bien-être etc. demeure indéterminé. Par ailleurs, la répartition de cette facture entre pays, entre secteurs d’activité, entre économie réelle et marchés financiers, entre individus et groupes d’individus est loin d’être prédictible.
Le retour en force de l’État régalien
En quelques mois, la crise Covid-19 a remis en cause toute la doctrine de désengagement des États et de privatisation des secteurs stratégiques. En effet, la crise a mis à rude épreuve le choix d’un rôle de l’État dans la vie économique poussé à son niveau minimal jamais enregistré au nom de l’efficacité et de l’efficience.
Aussi bien les citoyens que les gouvernements et les institutions ont pris conscience des limites des modèles existants : la théorie de l’efficience économique a mis en péril l’accès dans des conditions optimales aux soins et aux services de santé. Au lendemain de la crise, nombre d’États, bien qu’affaiblis et dépourvus de moyens et d’instruments d’action, ont réinvesti toutes leurs prérogatives régaliennes.
Ainsi, les thèmes de sécurité et d’indépendance dans les domaines stratégiques (industrie pharmaceutique, recherche et développement, équipements médicaux etc.) ont regagné toute leur légitimité.
Force est de souligner le caractère quasi militaire de la crise Covid-19 qui a remis au-devant de la scène l’intérêt de l’action publique dans ce contexte. Ce phénomène de gestion exclusive de la crise par les pouvoirs publics a concerné aussi bien les pays développés qu’en développement.
L’échec du capitalisme néolibéral
Certains économistes soutiennent que la crise Covid-19 a sonné la fin du capitalisme néolibéral[1]. Et ce dans la mesure où elle impliquerait probablement un mouvement de démondialisation et de relocalisation des multinationales.
En effet, la crise Covid-19 a remis en cause le paradigme de la division internationale du travail (DIT). La répartition internationale des processus de production basée sur le principe des avantages comparatifs se trouve pour la première fois dans l’impasse d’une globalisation freinée.
En résumé, l’économie néolibérale semble traverser la période la plus sombre de son histoire avec :
- La fin des politiques d’austérité et le retour en force de l’État en tant qu’acteur économique majeur,
- La montée du protectionnisme et le mouvement de démondialisation qui pourrait découler de la crise,
- La fuite massive des capitaux notamment les investissements de portefeuille,
- La remise en cause de l’architecture du système économique et financier international et du rôle de certaines organisations internationales comme l’OMS et le FMI etc.
Quel scénario de sortie de la crise Covid-19 ?
Après quelques semaines d’hésitation voire de désarroi et d’incompréhension, le schéma d’une sortie possible de la crise Covid-19 commence à se dessiner dans l’horizon. Il s’agit d’un premier scénario, celui espéré par l’establishment. Néanmoins, un scénario alternatif peut également voir le jour.
Le scénario espéré et soutenu par l’establishment : Laisser passer la tempête
Une lecture critique des recommandations des différentes institutions internationales (FMI, Banque mondiale et même OMC) pour la gestion de la crise Covid-19 permet de relever les points suivants :
- La crise ne devrait en aucun s’inscrire dans la durée pour éviter à tout prix l’effondrement de l’économie mondiale et des marchés financiers;
- Bien qu’elle soit inédite, la crise devrait inévitablement passer et un retour à l’économie de marché serait possible. Et ce en moyennant quelques arrangements permettant d’amortir certains de ses effets économiques et sociaux;
- Pour atteindre cet objectif, la solution serait alors d’actionner à court terme tous les instruments de la politique économique à la disposition des États : instrument budgétaire, instrument monétaire, politique de change et politique commerciale.
Toutefois, ce choix est critiquable pour plusieurs raisons.
- Tout d’abord, utiliser des instruments de politique qui peuvent s’avérer contradictoires serait contre-productif et pourrait se solder par un échec ;
- Ensuite, le coût de ce maintien artificiel en vie de l’économie mondiale pourrait être très élevé aussi bien pour les générations actuelles que futures ;
- Enfin, la facture de cette situation inédite ne serait pas équitablement répartie : comme à la sortie de la crise des subprimes, ce sont les économies et les couches sociales les plus fragiles qui payeraient de leurs conditions de vie le coût de cette récession.
Chaque mois qui passe en confinement général ou partiel surtout dans les pays développés réduit énormément la probabilité de réalisation de ce scénario de laisser passer la tempête. La facture d’un arrêt quasi-total de la production pendant plusieurs mois dans le monde serait exorbitante et pourrait plonger l’humanité dans une grande dépression jamais constatée.
Le scénario alternatif : vers un nouvel ordre économique et social
Depuis les années 1970, les plus visionnaires des économistes[2] ont tiré la sonnette d’alarme par rapport aux conséquences dramatiques d’une croissance exceptionnelle dans un monde fini.
En dépit d’une prise de conscience de l’effet destructeur des activités de production et consommation sur les processus naturels, peu d’efforts ont été consentis dans ce sens. La crise Covid-19 pourrait constituer une opportunité pour l’humanité pour développer un nouveau modèle économique, financier et social mondial qui mettrait en son cœur l’être humain et son bien-être.
Toutes les certitudes sur le mode de fonctionnement de l’économie de marché et ses mécanismes de réajustement semblent tomber l’une après l’autre sous la violence et l’ampleur de la crise Covid-19.
Depuis l’éclatement de la crise Covid-19, des micro-modèles alternatifs de production, de financement, de consommation, de partenariat, de solidarité et de gouvernance ont vu le jour un peu partout dans le monde. L’économie d’autarcie imposée de facto fait ses preuves dans de nombreux pays.
Le savoir-faire local, les entreprises implantées sur le territoire, les réseaux de distribution de proximité, et la capacité d’adaptation des citoyens constituent les véritables remparts face à la crise Covid-19.
Ces micro-modèles économiques seraient vraisemblablement les prémices d’un nouvel ordre économique mondial plus solide et plus équitable.
[1] Patrick Artus (2020), Natixis flash Economie n°381, du 30 mars 2020.
[2] Donella Meadows, Dennis Meadows, Jorgen Randers et William W. Behrens, « The Limits to Growth », Universe Books, 1972 (ISBN 978-0-4510-9835-1).