Depuis le déclenchement de la pandémie Covid-19, il est patent que tous les secteurs d’activité seront impactés peu ou prou par ses conséquences sur le plan économique, social et culturel..
Les décisions prises, à juste titre, par les autorités relatives au confinement total pour protéger la population du Covid-19 se sont traduites par un arrêt partiel voire total pour beaucoup de secteurs. Cette décision va renforcer davantage les fragilités et la vulnérabilité des entreprises majoritairement constituées de PME/ PMI et TPE.
Les pouvoirs publics essayent de dégager les ressources pour leur venir en aide de manière transitoire et de mettre le secteur bancaire et les entreprises qui en ont encore les moyens à contribution pour organiser le sauvetage. Le plan présenté par le Gouvernement et qui s’élève à 2 Milliards, dont 300 Millions sont alloués pour les entreprises, est estimé par beaucoup d’analystes comme étant nettement insuffisants. Nous y reviendrons.
Sur le plan macroéconomique, l’exercice 2020 sera un exercice difficile. Le FMI et la BIRD tablent sur une croissance négative de respectivement 4.3% et 4% et prévoient une tension extrême sur le plan de l’équilibre des finances publiques. Ce qui poussera le Gouvernement à prendre des mesures fiscales additionnelles ce qui ne manquera pas d’augmenter la pression fiscale, déjà élevée 23% du PIB, de mettre en péril certains secteurs qui résistent encore et d’inhiber l’investissement.
Par conséquent, une reprise de l’activité post-Covid au cours de 2020 est quasiment exclue. Le scénario d’une courbe en U est privilégié par les analystes. Un retour progressif pourrait être envisagé en 2021, à la condition que le déconfinement se fasse progressivement et de manière organisée, et que la reprise s’enclenche également chez nos principaux partenaires dont la reprise n’est pas assurée. (Cf. partie Monde supra).
Qui plus est, la communication des pouvoirs publics pêchent par manque de transparence et d’affichage de réelles prises en compte des enjeux. Or, s’agissant des chefs d’entreprises et des investisseurs, ceux-ci sont plus enclins à l’attentisme à défaut de visibilité quant à la sortie de crise et d’intelligence sur les perspectives.
Cette période pourrait prendre plusieurs mois et inhiber toute initiative ce qui serait préjudiciable à toute formulation de politique cohérente et coordonnée de gestion de cette crise.
Gestion erratique et court termiste
Au-delà de l’enjeu de santé publique et de la protection des citoyens qui, de mon point de vue, sera maitrisé grâce à la survivance de cet ilot d’excellence, en dépit de toutes les vicissitudes, qu’est le corps médical, c’est au niveau économique et social que l’enjeu est plus vital. Sous couvert de « guerre » contre la pandémie du Covid-19, on fait l’impasse sur le développement d’un véritable plan de sauvetage de l’économie et l’on se contente de meurettes symptomatiques sans véritable effet sur la crise sinon d’éteindre quelques foyers.
Ampleur de la récession : grave
Au vu du comportement des secteurs au cours du premier trimestre, des prévisions sectorielles (i.e. agriculture et pêche, BTP,… ), de l’insignifiance de l’intervention publique, confrontée à des arbitrages sévères en terme d’allocation de ressources et d’une reprise peu probable au cours du second semestre, corroborés du reste par les publications de la BCT, de l’INS, des organisations professionnelles, des sondages effectués auprès des entreprises, des rapports de cabinets d’études, il faut s’attendre à une croissance dans une fourchette de de -7 à -10%.
Les secteurs les plus durement touchés, et dont il ne faut attendre aucune contribution au PIB, sont l’industrie déjà en phase de désindustrialisation avancée avec une contribution au PIB qui ne cesse de régresser passant de 32.8% en 2010 à 22.5 à fin 2019 et nullement préparée à la révolution 4.0, fonction de sa capacité à faire sa transition énergétique et numérique.
Les industries non manufacturières déjà dans un trend baissier ante COVID et qui continuera probablement faute de stratégie globale, les industries manufacturières (THC, IMME, IC, IMCV, …), auparavant dynamiques avec une forte contribution à l’export. Le THC, avec environ 1800 entreprises dont 80% exportent et représentent 20% du total export, plus de 200 000 emplois, sera durement impacté avec les conséquences sociales que l’on sait vu les spécificités de la main d’oeuvre employée.
Ce constat est confirmé par les statistiques de l’APII du mois de mars qui affichent une forte contraction aussi bien des investissements industriels (-36,4% par rapport au mois de février et -24,6% par rapport à mars 2019) que des projets d’investissements dans les activités de services (-60,7% par rapport au mois de février et -54,2% par rapport à mars 2019). Il en est de même des intentions d’investissement dont le taux de réalisation demeure hypothétique, même en temps normal, qui affichent au cours du premier trimestre 2020, comparé à celui de 2019, une baisse en nombre à 3683 contre 4162.
L’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises (IACE) vérifie cette hypothèse puisque plus de 75% des chefs d’entreprises interrogés en Tunisie estiment que leurs activités ont été impactées par la crise sanitaire. Ce constat et cette appréciation des chefs d’entreprises confirment le comportement sectoriel quasi-général dans le monde. Et la Tunisie ne fait pas exception. Les mêmes causes produisant les mêmes effets comme l’atteste le schéma infra.
Les prévisions du FMI, en revanche, nous semblent optimistes et devraient faire l’objet de révision bientôt tant elles ne correspondent pas à la réalité. La BIRD, pour sa part, estime que la Tunisie sera « particulièrement vulnérable » et qu’elle « (…) affiche un double déficit et une dette élevés ainsi que des stocks régulateurs limités, alors que la croissance est anémique, l’emploi stagnant et l’inflation relativement élevée ».
Estimations du FMI et de la BERD
Avec la crise du Covid-19, le gouvernement sera face à une situation économique et sociale particulièrement difficile. Les secteurs directement impactés, à l’instar du reste du monde (Cf. schéma infra « Loosers & Winners ») sont le tourisme et la restauration, les exportations et la demande intérieure, distribution automobile, pièces de rechange,…
Cependant, et nul ne semble s’en préoccuper, une attention particulière doit être accordée à la culture qui sera sinistrée dans sa partie production et distribution et qui devrait, avec les professionnels, faire l’objet d’une approche spécifique qui déboucherait sur la formulation d’un nouveau modèle imposé par les nouvelles habitudes et les impératifs, qui dureront, de la distanciation physique et sociale.
Le plan proposé par le gouvernement: nettement insuffisant
Vu le plan annoncé, son volume, ses objectifs affichés et la manière dont sont conduites les décisions économiques, nous ne sommes pas convaincus que les autorités prennent vraiment la mesure et l’ampleur de l’impact sur l’économie, disparition de pans entiers de notre tissu productif et transformation radicale de beaucoup d’autres, et des risques de déstabilisation sociales qu’elle induit.
Plans de sauvetage des économies comparables à la Tunisie :
Pour la Tunisie, il est d’ores et déjà patent que le montant proposé et les mesures qui l’accompagnent seront insuffisants et ne permettront pas d’atteindre une trajectoire de redressement soutenable. Les besoins de très court terme risquent de dépasser les montants pour l’instant en discussion. En ordre de grandeur, il se pourrait qu’ils soient plus proches des 8 à 10 % du PIB, soit 4 à 5 fois les 2 milliards déjà décidés.
Pour un plan de sauvetage à la hauteur des enjeux : Agir en rupture
A défaut d’un plan de sauvetage économique conséquent et d’une réelle prise en charge du surplus de pauvres générés par la crise du Covid-19, le gouvernement encourt le risque d’exacerber les tensions sociales, émeutes et autres mouvements populaires, ce qui conduira à une détérioration de la sécurité et un effet de cascade sur les finances publiques, le climat des affaires, les IDE et sur les perspectives de reprise de l’activité.
Un plan de relance et de transition doté de moyens substantiels qui devraient se situer aux alentours de 10% du PIB doit être impérativement créé. Beaucoup d’économistes s’accordent sur ce point. D’autant plus que les ressources déjà levées sont estimées à 6 milliards de dinars.
Ce montant, s’il n’est pas absorbé en soutien budgétaire, ce qui va être probablement le cas, pourrait être complété par l’émission d’obligations vertes, sociales et durables (Green, social and sustainable (GSS) garanties par l’Etat sur des horizons aussi longs que possible). Après cette crise du Covid-19, les marchés seront de plus en appétit pour ce genre d’émission qui préfigure ce que devrait être l’économie de demain.
Le retraitement de la dette devra aussi être abordé avec une attention particulière et surtout sans tabou et sans dogme. Demander aux multilatéraux qui représentent quasiment 50% de la dette extérieure de sursoir au paiement du service de la dette pendant une période de deux ans est tout à fait envisageable et justifié par les conditions exceptionnelles et de force majeure que nous vivons. Ceci permettrait de soulager les finances publiques largement affectées et d’offrir de l’espace budgétaire.
Qui plus est, une telle opération serait d’autant plus légitime qu’elle s’accompagnerait d’investissements accrus dans la transformation énergétique et numérique.
Faire face à la crise sanitaire du Covid-19 (mais somme toute gérable) aux conséquences humaines, sociales, économiques, financières et monétaires inédites, nécessite de prendre des décisions d’envergure, et réellement impactantes.
Il ne s’agira pas de reproduire le modèle économique du passé. La reprise doit permettre d’accompagner les conséquences inéluctables de la transition énergétique et numérique en soutenant la reconversion des emplois dans les régions et les secteurs d’avenir.
L’objectif général de ce plan :
- Rendre notre économie et notre société plus résilientes face à de futurs chocs, pandémiques ou autres;
- Rendre notre économie et notre système de santé moins dépendants des chaînes d’approvisionnement mondiales pour les biens stratégiques et de première nécessité, notamment dans le secteur de la santé, de l’alimentation ainsi que de l’énergie et autres intrants stratégiques.
Les autres objectifs à court et moyen terme :
- Donner un signal fort que les pouvoirs publics prennent la véritable mesure de cette crise et qu’ils agiront pour dégager les moyens nécessaires à la transition.
- Réduire les incertitudes et dégager des perspectives à long terme pour les investisseurs et les consommateurs.
- Un soutien massif aux activités économiques menacées de disparition pendant douze à dix-huit mois. Le temps que durera cette crise.
- Prioriser et graduer les interventions et les allocations en fonction de la sinistralité et de la criticité des secteurs.
- Priorité devrait être donnée à la prise en charge partielle de ceux qui ont perdu leur emploi ou en passe de l’être en aidant les entreprises à les garder.
- En cas de prorogation du confinement, il s’agira de distribuer du revenu aux travailleurs du secteur informel qui, s’ils ne sont pas adressés, présenteront une menace à la fois sanitaire et sécuritaire.
- Toutes choses égales par ailleurs, et sur la base du rapport des Nations Unis, il y aurait entre 6 et 8% de pauvres en plus dans le monde, il y a lieu de supputer un comportement similaire si la crise perdurait. Par conséquent, un traitement spécifique de cette population est de la plus haute priorité.
- Assouplir de manière drastique les conditions d’accès au financement mis en place pour les entrepreneurs en phase avec les nouvelles orientations d’un investissement respectueux de l’environnement, social et durable.
- Soutenir la transformation l’économie en favorisant la transition énergétique et numérique.
Opportunités de repositionnement stratégique
Cependant, nous demeurons convaincus, et à défaut d’être en mesure de chiffrer ces potentialités ou d’estimer la durée de cette crise, nous pensons qu’elle peut aussi déclencher des opportunités de repositionnement stratégique, de désinvestissement sectoriel, de redéploiement géographique et de fusion-aquisition.
Beaucoup d’entreprises seront dans des cas de « forced sellers» volontaires ou subis et des investisseurs, qui en ont les moyens, et adeptes du « acheter au son du canon et vendre au son du clairon « en profiteront. C’est une épreuve de vérité pour toutes les composantes du pays.
Le gouvernement et les corps intermédiaires sont en première ligne et doivent démontrer, leur légitimité est à ce prix, leur capacité à gérer toutes ces transitions sans ajouter de la crise à la crise. Il s’agit de se réinventer. De s’affranchir des dogmes et d’être en rupture.
Encore une fois, les demi-mesures sont des contre-mesures et ne font qu’amplifier les problèmes. Il est temps d’oser l’audace et de saisir cette opportunité pour engager les véritables transitions avec une opinion qui sera préparée à cela.
Un des pères de l’Europe disait que « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise.”[Jean Monnet]