L’Atuge a organisé le 6 mai un Webinaire sur le thème « Impact de la crise du COVID-19 sur l’économie tunisienne». Parmi les intervenants à ce webinaire, Elyès Jouini. Cet universitaire, est un ancien ministre et Vice-président de l’Université Paris Dauphine. L’objectif étant de faire un état des lieux des mesures actuelles prises par l’Etat et la Banque centrale de Tunisie (BCT). De même que de présenter les stratégies qui peuvent être adoptées à moyen terme. Ainsi que mettre en perspective et consolider des recommandations de sortie de crise.
Dans de conteste, Elyès Jouini dresse un état des lieux de l’économie tunisienne. Il présente, dans une deuxième partie de son intervention, des propositions à mettre en place lors de la période post-Covid-19.
Elyès Jouini : « Les bonnes intentions ne suffisent pas »
Tout d’abord, Elyès Jouini souligne que toutes les actions conduites jusqu’à maintenant par le gouvernement et par la BCT vont dans la bonne direction. En revanche, il y a un certain nombre de problèmes de mise en œuvre. Et des promesses qui ne sont pas encore tenues. « Mais les bonnes intentions ne suffisent pas », dit-il. Comment faire alors pour que convergent toutes les énergies et toutes les actions dans la bonne direction?
Puis, revenant en arrière, Elyès Jouini a tenté de montrer comment redémarrer la machine économique. Pour lui, la question n’est pas seulement de savoir ce qu’il faut faire dans l’immédiat.
A l’échelle globale, une réflexion beaucoup plus approfondie doit être menée. Ainsi, Elyès Jouni rappelle la faillite, depuis 2011, d’un modèle d’économie incapable de redistribuer la croissance; avec peu d’emplois productifs. Un système générateur d’inégalités et de réduction de la taille du gâteau. Les contraintes étaient nombreuses et souvent contradictoires. De plus, on fermait les yeux sur l’informel.
Depuis 2011, ajoute-t-il, de nouveaux acteurs sont entrés en jeu et de nouvelles richesses ont vu le jour. Pourtant, les règles du jeu sur les plans économique et social sont restées inchangées.
En 2020, avant la crise du Coronavirus, l’économie parallèle est devenue dominante et l’Etat de plus en plus affaibli. Cela s’est accompagné d’une absence du contrôle du financement politique qui n’a pas été mis en place depuis 2011, avec une explosion de la dette. Celle-ci est de plus en plus insoutenable. Enfin, on a vu apparaître de nouvelles formes d’actions sociales.
Ensuite, Elyès Jouni fait remarquer que le Covid-19 est venu rajouter des éléments explosifs à une situation déjà fortement dégradée sur les plans économique et social. Il estime qu’aucune conclusion n’a été tirée et qu’il n’y a pas eu d’actions positives depuis 2011. « Si nous n’avons pas une réponse structurée, des tensions sociales pourront avoir des effets majeurs et dévastateurs pour le pays dans les prochains mois », alerte Elyès Jouini.
Renégocier la dette
Au sujet des financements, Elyès Jouni a recommandé d’explorer toutes les pistes. Parmi les possibilités, il faut envisager la renégociation de la dette publique et privée dans le cadre d’une concertation internationale. En effet, il est possible de faire pression sur les bailleurs des fonds publics et privés pour des reports. Il faut une diplomatie économique extrêmement efficace et offensive. On peut envisager un endettement intérieur plus important que ce qui a été fait jusque là, à des taux bas et sur une durée longue.
Il y a aussi la piste de la monétisation de la dette et de la planche à billets. C’est la chose la plus facile à mettre en œuvre à court terme par simple décision. Toutefois, si la monétisation de la dette induit de l’inflation, celle-ci induit l’appauvrissement des catégories vulnérables (retraités, salariés et tous ceux de la classe moyenne).
Combattre la corruption
Puis, il y a l’impôt. Elyès Jouini milite pour un impôt de solidarité sur le patrimoine. Ce serait, selon lui, une source de recettes pour l’Etat et surtout le fondement d’un nouveau pacte social. Cela permettrait d’afficher un objectif de justice sociale et de redistribution des richesses. Tout en ciblant directement les plus fortes capacités, sans interférer avec le marché. Parce qu’il faut cibler les personnes et non les entreprises. Et ce, à travers des appels à contributions à la fois volontaires; mais aussi quasi forcées à des impôts exceptionnels et appeler à inciter à investir. Afin de cibler de manière plus efficace le patrimoine non productif.
A la question de l’efficacité des impôts, Elyès Jouini a insisté sur l’importance de trouver des sources de financement. Il ne s’agit pas de donner à l’Etat un chèque en blanc et un financement à la clé. Néanmoins, il s’agit de redéfinir un certain nombre de règles de fonctionnement. Le rendement de l’impôt en valeur, de l’impôt de solidarité, dépendra des paramètres (seuils, pourcentages…) à mettre en place. Il pourra apporter jusqu’à trois milliards par an. Ce montant ne dépasse pas celui consacré aux plans de lutte contre le Covid-19.
Outre la question du financement, Elyès Jouini a souligné que la stratégie post-Covid-19 consiste à faire sauter les verrous de l’économie de rente et de la corruption. En effet, ils constituent un frein à l’investissement. Il s’agit aussi de se repositionner sur la chaîne de valeurs. On va pouvoir jouer à plein la proximité géographique et stratégique avec l’Europe.
Repositionner la Tunisie dans l’axe Afrique-Méditerranée-Europe
Car, la crise actuelle a montré que les distances étaient un problème; parce qu’on ne voyagera pas demain comme on voyage aujourd’hui. On ne délocalisera plus de la même manière. Pour Elyès Jouini, la Tunisie aura une carte à jouer en sous-traitant, pour attirer d’autres délocalisations. En matière de tourisme, la proximité de la Tunisie avec son bassin naturel peut être un point fort, si on joue cette carte. Il faut aussi investir de manière efficace dans plusieurs secteurs comme le numérique, la santé et l’enseignement supérieur.
« Il est important aussi de repositionner la Tunisie au cœur d’un axe Afrique-Méditerranée-Europe, dans lequel nous sommes géographiquement au centre. Tout cela suppose d’agir dès aujourd’hui. C’est maintenant que la guerre se prépare et les entreprises en Europe sont en train de repenser leur organisation », ajoute Jouini.
« La proximité de la Tunisie avec son bassin naturel peut être un point fort si on joue cette carte »
« Il faut penser à une communication à l’extérieur et à l’intérieur. Et communiquer sur le fait que la Tunisie, malgré les difficultés, a pu faire face la propagation du Covid-19. Et ce, en prenant les bonnes décisions au bon moment », ajoute Elyès Jouini.
Il faut travailler avec les pays proches, avec les voisins au sens économique. En proposant la mise en place d’une coopération industrielle et technologique. L’objectif consiste à travailler sur les délocalisations et relocalisations. Tout en étant en contact avec les responsables de premier plan et avec le tissu industriel tunisien et celui des pays concernés.
Au final, Elyès Jouini a souligné que malgré la difficulté de penser en même temps l’urgence, l’immédiat et les moyen et court termes, le post-Covid-19 suppose aussi de s’intéresser à la diaspora. La Tunisie a intérêt à animer, à titre bénévole, un réseau de conseillers économiques alimenté en information (industriels, cadres supérieurs, hauts potentiels implantés à l’étranger..). Ils pourraient être des porte-parole et porte-drapeau de l’extension de la politique économique tunisienne.