Que se passe-t-il au sein d’Ennahdha? La guerre serait-elle déclarée entre le Chef de l’Etat Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi? De plus en plus de gens semblent le penser. Abdelaziz Belkhoja dresse un état des lieux dans une interview accordée à leconommistemaghrebin.com. Interview.
Leconomistemaghrebin.com : L’attaque frontale entre Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi est-elle une lutte de territoire? Ou encore bien plus que cela en a l’air?
Abdelaziz Belkhoja: Monsieur Kaïs Saïed a probablement eu connaissance, depuis qu’il est à la tête de l’État, de l’état réel de la situation du pays et des jeux de pouvoirs. En six mois, il a lancé plusieurs avertissements restés sans suite. J’imagine que c’est cette absence de réaction et ses causes qui ont provoqué sa montée aux extrêmes. En face de lui Ghannouchi poursuit les mêmes pratiques. Il a phagocyté le bureau de l’Assemblée pour en faire un cabinet de pouvoir personnel. Et il use d’une diplomatie agressive en voulant impliquer la Tunisie dans le conflit libyen. Ce qui constitue un très grave empiétement sur les pouvoirs du président de la République.
– Plus explicitement, ce qui veut dire?
Je pense que le conflit entre Monsieur Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi est un conflit entre un président de l’Assemblée qui, dans son intérêt personnel, tire les ficelles de l’Assemblée, de l’État et de la diplomatie (pourtant domaine réservé du président); et un Président de la République dont l’immense légitimité lui permet d’influer sur les événements. Mais qui, pour le moment, n’a fait qu’émettre des avertissements. Ces derniers vont-ils enfin se muer en actions pragmatiques présentées par un discours réaliste qui tranche avec les sautes d’humeur jusque là en vigueur? On le verra dans les jours qui suivent.
– Quel est l’état des lieux de la politique d’aujourd’hui? Comment l’analyser?
Nous continuons à subir une ARP qui défend les intérêts des personnes, des partis et des groupes de pression. L’intérêt général est complètement absent, nous le constatons tous les jours. Rien qu’à travers la très grave fuite en avant de l’endettement. Pire encore, le nomadisme parlementaire a commencé. Il paraîtrait même que de nouveaux blocs parlementaires vont se constituer, comme d’habitude autour d’intérêts particuliers.
Ceci dit, quant au gouvernement, il est encore trop tôt pour le juger. La pandémie l’a mis dans une situation difficile. Mais nous avons échappé au pire et maintenant il peut faire bouger les choses. Nous attendons les réformes, les projets, les idées et la dynamique qui va sortir la Tunisie de ses crises. Sinon la situation à nos frontières est explosive. La situation sociale est inquiétante et la question économique est désastreuse. Cette dernière risque de jeter des millions de Tunisiens dans les rues.