Le gouvernement tunisien annonçait fin avril 2020 l’entrée en application de la Stratégie nationale de dé-confinement progressif en trois étapes. La première phase s’étale du 4 au 24 mai, la deuxième du 24 mai au 4 juin. Avec le soucis d’être au chevet des entreprises.
Puis, la troisième étape commencera le 4 juin et prendra fin le 14 juin 2020. Cette stratégie nationale touche aussi bien les citoyens que les entreprises. Aujourd’hui, à un mois du retour à la normale, la situation sanitaire s’est nettement améliorée.
Alors que la situation sanitaire s’aggrave dans plusieurs autres pays, la Tunisie n’a enregistré, selon le ministère de la Santé, aucun nouveau cas de contamination au Coronavirus durant trois jours consécutifs. Ainsi, le pire n’a pas eu lieu en Tunisie. Et ce, contrairement à ce que certains redoutaient au début de la crise (environ 300 000 morts). Actuellement, le nombre des cas de guérison a dépassé celui des contaminés.
Rester en situation de vigilance extrême
Ces résultats réalisés malgré les modestes moyens. Mais avec les efforts consentis notamment par le personnel soignant. Et les mesures prises d’aides sociales et aux entreprises touchées par la crise ont beaucoup aidé à permettre à plusieurs secteurs de reprendre leur activité.
D’ailleurs, les efforts déployés et le plan de lutte contre la Covid-19 ont été salués par le Représentant de l’Organisation Mondiale de la Santé en Tunisie (OMS). Effectivement, Yves Souteyrand déclarait que le pays s’est bien préparé à l’avance pour faire face à la forte vague de la pandémie. « Mais le pays doit rester en situation de vigilance extrême avec des stocks d’équipements », ajoute-t-il. C’est pourquoi les hôpitaux doivent être prêts à tous les scénarios. Car plusieurs sources médicales s’attendent à une deuxième vague plus forte d’ici la fin d’année.
En outre, les autorités mettaient en place différentes plateformes numériques pour les dépôts de demandes d’autorisation de déplacement et de déclaration. Après cela, des entreprises industrielles ont annoncé l’ouverture de leurs portes. Même si le personnel est réduit de moitié. Tout en adoptant des protocoles sanitaires et des mesures d’hygiène nécessaires à la relance.
De même, des administrations publiques reprenaient le travail pour assurer différents services publics; comme le transport, la justice et autres… Et la Poste et les banques ont continué d’assurer le versement des aides financières aux bénéficiaires des différentes catégories sociales concernées. Alors que d’autres activités étaient bizarrement exclues de la reprise d’activité, prévue initialement le 11 mai 2020. Comme par exemple les grandes surfaces commerciales.
Sauve qui peut, demain les entreprises
Toutefois, sur le plan socio-économique le constat est tout autre. La pandémie du Coronavirus a laissé plus de victimes dans les secteurs économiques et le marché du travail que parmi les personnes. Les incertitudes et les inquiétudes quant au post-Covid s’accumulent d’un jour à l’autre chez les milieux d’affaires. Les chefs d’entreprises et les travailleurs craignent une sortie du confinement pour se trouver face à des entités fortement sinistrées.
La crise du Coronavirus a touché en profondeur les dépenses publiques ainsi que le tissu productif composé à hauteur de 90% de PME /TPE. L’industrie, le tourisme et les services, parmi les principaux secteurs de l’économie tunisienne étaient presque à l’arrêt durant la longue période du confinement.
Selon une enquête réalisée récemment par Sigma Conseil, 28% des entreprises sont incapables de résister encore même un mois. 70% ne peuvent pas résister plus de deux mois. 90% ne peuvent pas résister plus de trois mois pour payer les salaires.
« La pandémie du Coronavirus a laissé plus de victimes dans les secteurs économiques et le marché du travail que parmi les personnes »
Les résultats d’une enquête réalisée début avril par l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) montrent que les chefs d’entreprise prévoient en moyenne une diminution de 24,63% au niveau des chiffres d’affaires. 58,30% des chefs d’entreprise interrogés prévoient une diminution de leurs activités durant les trois prochains mois.
Dans le secteur du tourisme, les inquiétudes et les incertitudes quant à la relance sont beaucoup plus profondes. Les professionnels sont beaucoup pessimistes que les industriels. Selon le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, le secteur touristique, toutes activités confondues, a besoin d’un appui financier de 500 millions de dinars. Les autorités évaluent à 1,3 milliard d’euros, soit environ cinq milliards de dinars, les pertes du secteur!
Dans le secteur des services, 83% des entreprises s’attendent à une baisse de leur chiffre d’affaires et 54% estiment arrêter les recrutements.
Risque d’explosion sociale!
Dans ce paysage, la Tunisie pourrait subir une perte estimée de 160 mille à 300 mille postes d’emploi en trois mois. Pour se trouver avec un taux de chômage de 18% à 23%. Cela pourrait fortement impacter le climat social dans le pays.
Ainsi, une étude élaborée par le Professeur Universitaire Azzam MAHJOUB et publiée par le FTDES, la pandémie du Covid-19 a été (et sera), sans conteste, un grand moment de « vérités multiples ». Elle n’a pas n’a pas manqué de révéler au grand jour nos fragilités et vulnérabilités.
En effet, « la vulnérabilité au chômage pour les employés informels, les auto-employés, les employés dans des micro-entreprises ou les employés sans contrat ou en contrat à durée déterminée pourrait s’avérer massive et dramatique. Dans le cas de la non poursuite des programmes sociaux plus ciblés et mieux digitalisés; en les inscrivant dans la durée et avec des stratégies anticipatrices et proactives ».
Alors, des voix syndicales s’élèvent ces derniers jours contre des licenciements massifs des employés dans le secteur privé. Lequel emploie environ deux millions de Tunisiens. Un haut responsable syndical a alerté mardi contre un deuxième prélèvement sur les salaires.
« Aujourd’hui, le risque d’implosion sociale est très sérieux. On continue de gérer la crise de façon bureaucratique. Le dialogue social est totalement absent et loin de l’intérêt général. Les partenaires sociaux sont invités à négocier loin des corporatismes. La crise va faire émerger de nouveaux pragmatismes du dialogue social ». C’est ce qu’affirme le syndicaliste et économiste Sami Aouadi.
Du côté du patronat, plusieurs hommes d’affaires estiment que les mesures prises pour aider les entreprises sont insuffisantes. Et inefficaces pour gérer les effets de la pandémie et se préparer au post-Covid-19.
« La crise est beaucoup plus importante que les mesures prises ». C’est ce que souligne Tayeb Bayahi, président de l’IACE. Et ce, lors d’un débat organisé début mai. Il traitait de l’impact de la crise de la Covid-19 sur l’économie tunisienne.
« On continue de gérer la crise de façon bureaucratique. Le dialogue social est totalement absent et loin de l’intérêt général »
Néanmoins, le gouvernement se veut à l’écoute et cherche à amortir le choc sur les structures financières et les trésoreries des PME/TPE. Par conséquent, il vient d’annoncer de nouvelles mesures d’aide aux entreprises sinistrées. Il s’agit de l’octroi de la garantie de l’État pour rééchelonnement des anciens crédits des PME. Cependant, cette mesure exclut certaines entreprises.
Toutefois, dans un paysage politique métamorphosé et au moment où certains parlent d’opportunités post-Covid-19, d’autres craignent un grand risque. A savoir que les entreprises pourraient se trouver seules et sans un vrai appui à la relance. Elles ne pourraient plus continuer de bénéficier de l’aide de l’Etat pour faire faire aux conséquences de la crise. De ce fait, l’année en cours est difficile au niveau du financement du budget. D’ailleurs, les besoins en financements extérieurs sont évalués, selon le chef du gouvernement, à environ à cinq milliards d’euros.
Au final, au vu des changements provoqués par la crise sanitaire, le grand débat aujourd’hui doit être le financement des PME/TPE. La priorité est actuellement à la relance. Car, face à la rareté des ressources financières et la difficulté d’accès aux sources de financement classiques; il faut, peut-être, penser à d’autres formes de financement. Comme le recours à la digitalisation du système financier, le Crowdfunding ou le Private equity.