Un rapport de S&P Global Ratings portant sur l’impact économique et financier de la crise sanitaire du Covid-19 sur le secteur bancaire tunisien intitulé « la consolidation tant attendue du système bancaire tunisien » vient d’être publié. Ainsi, la consolidation capitalistique a été présentée comme une opportunité pour ne pas envenimer la situation financière des banques. Universitaire, banquier de carrière, Lotfi Debbabi, Directeur Général de la STB Bank, tient bien en main les rennes de la banque. Il maîtrise toutes les subtilités du secteur bancaire théâtre d’un vaste mouvement de transformations digitales. Et sans être la dernière de ses qualités, il est rompu à l’art du management bancaire. Il nous livre sa lecture du rapport. Interview
S&P a mis en relief l’adéquation des fonds propres des banques pour la couverture des risques, qu’elle juge faibles. Comment analysez-vous cette évaluation ?
Lotfi Debbabi : Tout d’abord, je vous remercie pour l’occasion qui m’a été donnée pour m’exprimer sur un sujet de grande importance en l’occurrence, dans ce contexte. Aujourd’hui, le système bancaire mondial est ébranlé par les conséquences de la crise sanitaire qui a mis les économies du monde entier en confinement voire même en apnée. Les relations des autorités monétaires et financières sont très solides avec les agences de Rating, notamment S&P qui s’intéresse depuis plusieurs années et de près aux évolutions du secteur bancaire tunisien.
Le rapport de l’agence qui ne constitue pas une action de notation. Il a évoqué l’impact des mesures de confinement sur l’ensemble de l’économie nationale dont la contraction est estimée par le FMI à 4.3% en 2020 sachant qu’elle est prévue à l’échelle mondiale à 3%.
S&P considère que ce niveau de croissance impacterait la qualité des actifs bancaires et accentuerait la pression sur sa capitalisation qu’elle considère, en moyenne, comme faible. Ceci accroîtrait, d’après l’agence, la part des NPL qu’elle estime à 14% fin 2019. Ces facteurs exigeraient donc la constitution de provisions importantes ce qui pourrait éroder les fonds propres et les résultats.
« Les relations des autorités monétaires et financières sont très solides avec les agences de Rating, notamment S&P qui s’intéresse depuis plusieurs années »
Néanmoins, il est important de s’arrêter à l’analyse de certains faits tels que la période où on commencera effectivement à constater une régression éventuelle de la qualité des actifs, d’une part et l’impact attendu des mesures prises par le gouvernement et la BCT pour immuniser le secteur contre l’ampleur du choc productif, d’autre part.
La problématique de la concentration et des regroupements qui se pose depuis longtemps fait l’objet, ces derniers temps, d’une réflexion profonde pour la gérer de manière adéquate d’autant plus que les autorités s’apprêtent à l’adoption des normes IFRS ayant un effet crucial sur la classification des créances, le provisionnement et par conséquent sur les fonds propres.
Le secteur a-t-il subi, récemment, du moins, un stress test pour évaluer sa résilience face à des crises sévères ?
Tout à fait. Un Stress-Test a été élaboré par un bureau spécialisé d’envergure régionale en novembre dernier. Ceci, a suivi la période 2016-2018 qui était de bonne récolte et où les résultats ont atteint des records.
Ce test a été réalisé dans une situation marquée quand même par une certaine progression des risques liée au ralentissement des performances de quelques secteurs sur fond d’amélioration du volume global de refinancement par la BCT.
Le Stress-Test a étudié la stabilité financière des banques en se concentrant sur les ratios de solvabilité et le « Common equity tier one » (CET 1) selon différents scénarii de chocs économiques et financiers, en variant les principaux facteurs, à ce titre, dans une première étape.
Un deuxième test a consisté à rajouter à ces trois scénarii, le raffermissement de la réglementation en admettant différentes hypothèses basées sur le classement des risques cumulés, la couverture moyenne exigée et l’instauration des volants de conservation de fonds propres. Selon le dernier test, le recours aux actionnaires est indispensable pour presque l’ensemble des banques. Le besoin en fonds propres du secteur serait de 2.7 Milliards de dinars, selon un scénario dominé par un choc macro-économique et financier intense.
En somme, le Stress-Test a simulé de manière détaillée l’impact des chocs économiques et le changement de la réglementation sur les fondamentaux des banques selon des modèles spécifiques au contexte local ce qui constitue un point fort.
Revenons sur la question de la qualité des actifs, à quel moment avez-vous constaté effectivement ce glissement et avez-vous entrepris des mesures pour atténuer son impact ?
Il n’y a pas eu de régression de la qualité des actifs au premier trimestre, vu que le confinement a commencé le 22 mars dernier.
Sur un autre plan, la décision de la BCT de reporter le paiement des échéances des crédits de 3 à 6 mois limitera l’accrochage des créances durant le deuxième et le troisième trimestre 2020 en raison de leur stagnation dans leurs anciennes classes des risques. Les mesures prises pour octroyer des crédits Covid-19 permettront, à leur tour, de stabiliser la qualité des actifs.
Le retour à la normale de l’activité prévu au début du quatrième trimestre et les décisions du gouvernement à travers la garantie de l’État et de la SOTUGAR des crédits Covid-19, sont rassurants. Il n’y a pas lieu d’être très inquiets au point de prévoir des résultats significativement négatifs à la fin de l’année et la détérioration grave des assises en fonds propres.
Par ailleurs, certaines mesures des autorités qui traitent du report des tombées d’échéances engendreraient, dans une certaine mesure, une pression sur les liquidités. Ceci pourrait être évité par des solutions alternatives dont le refinancement. Nous accordons une attention particulière pour le suivi des secteurs déjà en difficultés tels que le tourisme, le bâtiment, etc.
« Il n’y a pas lieu d’être très inquiets au point de prévoir des résultats significativement négatifs à la fin de l’année et la détérioration grave des assises en fonds propres »
L’idée principale des autorités est l’élargissement de l’octroi de refinancement en cas de dégradation des garanties financières reçues de la part des banques dans des circonstances exceptionnelles. De ce fait, les effets de la crise sur les indicateurs trimestriels au 31 mars seront dès lors très peu significatifs.
L’impact du Covid-19 sera légèrement différent pour l’arrêté au 30 juin qui subira le ralentissement de l’économie, d’une part et les effets largement maîtrisés du report des échéances, d’autre part.
Les premiers effets attendus de la crise Covid-19 sur le PNB s’expliquent par la baisse du taux directeur de 100 points de base, la régression des intérêts liés aux reports de crédit et la diminution des commissions bancaires – peu significative – liées aux opérations monétiques du fait de l’impact direct des mesures de soutien, à ce niveau (DAB, carte, TPE,). Cette baisse sera compensée par la maîtrise des coûts de ressources liés aux refinancements BCT pour les banques.
Qu’en est-il du rôle de la consolidation pour renforcer la stabilité financière du secteur ?
Les questions d’une mutation et des regroupements bancaires en Tunisie sont actuellement au cœur de tous les projets de transformation du secteur. Plusieurs analystes estiment que la consolidation des fondamentaux des banques passe par la cession de l’État des participations non stratégiques, notamment les participations minoritaires et les participations dans les banques mixtes. Les ressources dégagées peuvent, ainsi, être utilisées pour renforcer les fonds propres du secteur. Aussi, on considère que la mutation est nécessaire pour avoir un effet de taille et développer des champions bancaires nationaux. Ceux-ci seraient capables de jouer leur rôle dans le financement de l’économie et des entreprises et d’être en mesure d’accompagner les entreprises sur les marchés à l’international, notamment en Afrique subsaharienne.
Pour cela, il faut se doter d’une vision, d’une stratégie et d’un plan d’actions au moins quinquennal, pour restructurer davantage la contribution bancaire au financement de l’économie, tout à fait indispensable, dans le contexte que vit la Tunisie et dans la situation probable des prochaines années.