La crise systémique provoquée par le Covid-19 interroge le rôle de l’Etat dans un monde globalisé. Et les moyens il dispose pour faire face aux défis de ce début de XXIe siècle.
Un questionnement qui fait directement écho au « paradoxe étatique » auquel les Etats sont confrontés. D’un côté, face à l’urgence sanitaire, économique et sociale, les citoyens en appellent instinctivement à un Etat protecteur, instance de premier et de dernier recours.
De l’autre, les Etats ont fait montre d’une efficacité très variable. Certains ayant même affiché leur vulnérabilité et leur incapacité à répondre aux besoins exprimés par leurs propres citoyens. Au-delà de ce paradoxe, c’est la croyance même dans l’Etat qui se pose au sortir de cette crise.
La pandémie: un crash-test pour les Etats
Ainsi, pour des puissances internationales comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni ou encore la France, l’épreuve est rude. Non seulement la nature singulière de cette crise les a mis dans une position d’« humilité ». Mais elle a rendu visible des défaillances organisationnelles et décisionnelles de leurs appareils administratifs. Ainsi que leurs carences en moyens matériels et humains.
Outre l’absence de culture de l’anticipation, les déclarations des différents membres du gouvernement forment autant d’indices quant à l’impréparation– malgré les informations à disposition et autres alertes- d’un État dont les causes de dysfonctionnements sont de nature « systémique ».
En effet, les décisions budgétaires et gestionnaires prises ces dernières décennies– y compris en matière de financement de l’hôpital public- expliquent en grande partie l’ampleur de cette crise de santé publique. La situation du secteur sanitaire et hospitalier dans ces pays occidentaux symbolise le résultat d’une stratégie publique obsédée par la réduction les coûts.
Un État dépossédé, affaibli par des décennies de politiques publiques soumises à une implacable logique d’austérité budgétaire. L’impréparation et l’incurie de certaines administrations du secteur sanitaire s’expliquent par des choix politiques (synonymes de coupes budgétaires et de réductions d’effectifs) et par le vide abyssal en matière de vision stratégique au sommet de l’Etat.
La légitimité même de l’action publique est appréhendée à l’aune de la productivité, de la « performance »; autant de préceptes et techniques du management privé. Le développement des normes du secteur privé dans le champ d’action de l’Administration ou encore le discours managérial sur la modernisation administrative sont autant d’indices du mouvement de « désacralisation » de la chose publique…
La pandémie signe-t-elle la fin des Etats?
Il ne s’agit pas de ressusciter l’antienne sur la « fin de l’Etat »; mais d’identifier ce qu’est devenu l’Etat. Plus qu’un simple appareil bureaucratique, l’Etat représente d’abord une idée qui jouit d’une aura « providentielle ».
Car, le modèle français s’est construit sur l’idée à la fois d’une supériorité et d’une centralité de l’État. Plus encore qu’ailleurs, l’État est le socle sur lequel la Nation s’est construite. Il en constitue la matrice et l’une des principales forces agissantes.
Le pouvoir politique est traditionnellement centralisé au sein d’un État producteur et défenseur de l’intérêt général. Il est le dépositaire d’une mémoire collective et l’incarnation de la communauté nationale. Situé au-dessus des intérêts particuliers, cet État est au centre de l’ordre politique, économique, social. Il est au cœur de l’imaginaire collectif.
Toute représentation nationale de l’Etat est le produit d’une construction historique, juridique et politique. Or la crise sanitaire– notamment à travers les décisions en matière de gestion des stocks de masques- a dévoilé avec force les conséquences du processus de déresponsabilisation et de « désétatisation » des politiques publiques à l’œuvre depuis la fin du XXe siècle.
Dans la préface de 1963 de son ouvrage « La notion de politique », Carl Schmitt déclarait déjà que « l’ère de l’État [était] à son déclin ». Certes, malgré la multiplication actuelle des signes de ce déclin, l’actuelle pandémie réveille un certain prurit nationaliste et étatiste. Tel est le « paradoxe étatique ».
Il n’empêche, à défaut de pouvoir croire dans l’Etat, la pandémie ressuscite des croyances collectives et religieuses alternatives. De quoi menacer l’avenir de l’Etat?