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Que diable allait-il faire dans cette galère? Il ne songeait pas à ce qui est arrivé.
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Va-t’en, Scapin, va-t’en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui.
Les Fourberies de Scapin, II, 7 Molière
Un vrai cas de conscience de l’avocat: peut-on défendre le « diable » sans pour autant devenir son instrument? Mais aussi, comment peut-on se démener ainsi comme un beau diable pour défendre l’indéfendable? Difficile! D’ailleurs, le diable a beau s’habiller en complet veston et porter une cravate, il ne fait pas le beau temps; il continue à effrayer les petits et les grands! Il a beau être un des suppôts d’un cheikh approvisionné comme Crésus et tenir un cierge. L’endroit reste obscur comme une nuit sans étoiles.
L’avocat des ténèbres
Dites-moi donc maître/ministre, qui d’autre que l’ange des ténèbres en personne aurait pu inspirer une telle posture? Et que trouverez-vous donc bien à défendre dans cette galère?
Pourtant, tout le monde s’accorde sur un point. Un ministre doit impérativement mettre entre parenthèses son métier d’origine. Et ce, pour se consacrer pleinement à ses nouvelles fonctions.
Car, aucune confusion ne peut s’établir entre l’accomplissement de sa charge de membre d’un gouvernement et l’exercice éventuel de sa profession d’origine. A aucun titre et sous quelque forme que ce soit. Donc, « personne n’aurait le droit de se faire représenter par maître Mohamed Abbou », jusqu’à ce qu’il quitte le gouvernement.
Or, cela ne signifie pas seulement qu’il ne doit pas exercer en tant qu’avocat- ce qui est vraisemblablement exact actuellement- mais aussi de se comporter comme s’il l’était. Pourtant, il semble que dans son cas l’automatisme a pris le dessus. L’ambivalence de ce comportement implique une face comique et une autre déconcertante.
En effet, les métiers et professions peuvent susciter chez certaines personnes des habitudes, un jargon, un type de posture. Si ces éléments se figent, un effet cocasse apparaît, celui, de « l’endurcissement professionnel ». La fameuse déformation professionnelle, comme nous l’explique Bergson (Le rire. Essai sur la signification du comique- Presses Universitaires de France -1992). Pour mieux saisir les particularités de cette posture, le psychologue Abraham Maslow la résume en une phrase : « Pour qui ne possède qu’un marteau, tout ressemble à un clou », dit-il.
Abus de bien publics
Lorsqu’on examine de près les déclarations du ministre d’État auprès du chef du Gouvernement chargé de la Fonction Publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption (Ouf! c’est fini!), on découvre qu’elles révèlent tous les aspects distinctifs de cette attitude ambivalente.
Ensuite, une autre « prédisposition » est associée à la posture précédente chez notre plaideur. Celle du débit syllabique et de la vitesse d’élocution du ministre d’État auprès du chef du Gouvernement chargé de la Fonction Publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la Corruption. D’ailleurs, l’utilisation de cette abréviation « MECGFPGLCC » est désormais recommandée pour ne pas dépasser le nombre de mots préconisés à cette chronique!
Alors même qu’il essaye d’expliquer, la surproduction verbale, le flux de paroles qui s’agglomèrent avec une accélération du débit, finissent par vider le discours de sa signification et donner le tournis à l’interlocuteur.
Ces traits distinctifs du personnage se manifestent chaque fois qu’il s’exprime. Notamment dans les deux faits qui ont marqué récemment l’actualité.
Il s’agit bien d’un cas d’abus de bien publics, dans la mesure où un de ses collègues s’est autorisé à prêter sa voiture de fonction à sa fille pour la conduire. Et ce, en totale infraction avec la loi. Par malchance, elle eut un violent accident provoquant de gros dégâts au véhicule, une Audi Q5 d’une valeur de 270 mille dinars environ. On s’attendait à ce qu’il donne l’exemple et affiche sa détermination à combattre ce genre de comportement quelle que soit la partie qui en est en cause. Que nenni!
Il a botté en touche comme on dirait, en affirmant que ce n’était pas le moment de soulever ce type d’affaire ; alors que le pays était en train de combattre une épidémie. Assurant qu’il allait, certainement, s’en occuper, ultérieurement.
Affaire des masques
Puis, le deuxième test de crédibilité concerne deux affaires liées. D’abord, « l’affaire des masques » soulève des soupçons du délit d’initié. Puisqu’une information sur les critères de fabrication des masques a filtré avant la publication du cahier des charges. Et cette présomption d’infraction est doublée par des conflits d’intérêts au regard de la loi. Une seule société a été approchée, dont le propriétaire est député à l’ARP. Il est aussi membre de la Commission de l’industrie, au sein de l’ARP et rapporteur adjoint dans la commission de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption. Le ministre de l’Industrie affirmait qu’il « ignorait que le propriétaire de la société est un député »!
On essaie d’intégrer les données objectives de la plaidoirie du « MECGFPGLCC » et on voit que cela ne tient pas. Tout sonne faux. Rien ne résiste à l’analyse en écoutant cet affligeant exercice d’explication auquel il a tenté de se livrer pour absoudre ses collègues. Ses discours d’avant sont contredits totalement par ceux d’aujourd’hui. Sans que cela ne pose le moindre problème de conscience ou de cohérence à celui qui les prononce.
Alors, peut-on plaider à la fois pour une approche et son contraire? Peut-on ne pas hésiter de se contredire pour faire feu de tout bois? En employant toutes sortes d’arguties pour essayer de justifier et convaincre, alors que les lois sont distinctement transgressées? La bonne foi s’oppose à l’exercice abusif ou dilatoire de prérogatives procédurales. Tout comme elle interdit de se contredire grossièrement.
Défendre l’indéfendable
Ce syndrome de la déformation professionnelle, pour ne pas soupçonner d’autres motivations inavouables, indique une attitude qui est apprise à l’occasion de l’exercice d’un métier. Elle est appliquée aussi en sa qualité de ministre d’un gouvernement qui en l’occurrence doit combattre toutes les formes de corruption.
Pour défendre l’indéfendable, les corrompus ont toujours compté sur des personnages assez tortueux et versatiles. Capables d’opérer des prises de position contradictoires comme si ceux qui les formulaient étaient autres. Et si, au lieu de prendre de grands airs pour justifier l’injustifiable, et tordre le cou aux lois et règlements, nos avocats du diable prenaient le temps pour corriger le tir et revenir à de meilleurs sentiments !
À ceux et celles qui n’hésitent pas à offenser la perspicacité des citoyens tunisiens pour les persuader avec des arguments insensés, sachez que vous nous exaspérez. Mais ce n’est pas en nous mystifiant que vous nous ferez changer d’idée.
On se rend compte, une fois de plus, que la politique est un exercice infiniment sérieux pour qu’on laisse les néophytes jouer avec.