Quelles sont les conséquences d’une désindustrialisation?
L’industrie a souvent été la principale source de croissance et de développement des pays aujourd’hui à hauts revenus. Représentant une part importante dans le PIB, la croissance de l’industrie, en particulier manufacturière, a eu des impacts significatifs sur la croissance globale de ces pays. La R&D et le progrès technologique ont assez souvent émergé dans l’industrie pour se diffuser plus tard dans les autres secteurs. Le développement d’une industrie moderne induit et génère une demande croissante de services. Contribuant ainsi au développement du secteur tertiaire via un effet d’entraînement. Une désindustrialisation peut induire une baisse de la demande pour les services.
Le commerce international étant dominé par les produits manufacturés, une désindustrialisation induirait inéluctablement une baisse des opportunités d’exportations.
Par ailleurs, le secteur manufacturier est un gros employeur avec une forte capacité d’absorption de main-d’œuvre. Aussi bien faiblement et moyennement qualifiée (abondante en Tunisie) que qualifiée.
Le secteur offre des emplois relativement stables et moins précaires que dans certains secteurs du tertiaire (tels que le tourisme saisonnier, les services à la personne…). Une désindustrialisation serait la cause de pertes d’emplois et de tensions sociales pouvant menacer notre jeune démocratie.
L’industrie joue aussi un rôle de régulateur territorial par sa plus forte présence dans les régions comparativement aux services, souvent concentrés dans les milieux urbains. La désindustrialisation mène à la fragilisation des territoires concernés, à l’exode et aux crises urbaines.
Le recul industriel jusque-là observé en Tunisie a généré des destructions d’emplois dans certains secteurs, tels que le textile, mais au total l’emploi industriel a continué à progresser lentement au prix de plus faibles gains de productivité.
De l’urgence de relancer l’industrie tunisienne…
Le processus de désindustrialisation est aujourd’hui entré dans sa phase agressive avec des conséquences pouvant être désastreuses sur la croissance, l’emploi, le déficit commercial, et les inégalités régionales.
La relance de l’industrie tunisienne relève à la fois de l’urgence et d’une vision à moyen et long terme. Elle nécessite une volonté nationale. Ainsi que la mobilisation de tous les acteurs. Et un plan de relance industrielle avec des objectifs clairs, des ressources conséquentes. Ainsi que des moyens et des instruments d’incitations fiscales et financières adaptés. L’intervention de l’Etat est plus que jamais importante pour le soutien et l’accompagnement du secteur dans son processus de modernisation et de transformation digitale.
Cela passe avant tout par l’amélioration de l’environnement des affaires. Et la levée des entraves à l’investissement. Alors que la compétitivité à l’échelle mondiale ne cesse de gagner en intensité, l’attractivité de la Tunisie a perdu des rangs précieux. La poursuite de politiques à même de permettre à la Tunisie d’améliorer sa compétitivité devrait être notre priorité.
Au-delà du cadre réglementaire à simplifier aussi bien sur le papier que sur le terrain, cette dernière devrait reposer sur une politique d’investissement dans l’infrastructure. Visant la consolidation des pôles de compétitivité, de la logistique et du transport. Les investissements dans l’infrastructure digitale ainsi que la transformation digitale des entreprises devraient également être ciblés.
La vulnérabilité des entreprises formant le tissu industriel tunisien devrait nous inciter à repenser en même temps leur financement avec des outils ciblant la consolidation de leurs fonds propres, le financement de l’immatériel et de l’innovation et bien plus un véritable encadrement de la part des banques et des sociétés de capital-risque.
L’Etat devrait allouer les budgets nécessaires pour soutenir la PME, notamment dans son programme de modernisation et de montée en gamme. Cela permettrait de disposer d’une masse critique d’entreprises de taille moyenne plus résilientes.
Au-delà des politiques industrielles horizontales de soutiens multisectoriels, des politiques verticales sont nécessaires. Ciblant les activités à forte valeur ajoutée. Ainsi que les grands projets innovants et à forte capacité de création d’emplois.
Le gouvernement, à un haut niveau, doit travailler sur l’attraction de gros projets et de multinationales à grande capacité de création d’emplois, d’exportation et d’innovation. Il s’agit de ramener quelques donneurs d’ordre sur le territoire tunisien. Quelques mastodontes des secteurs de l’automobile et de l’aéronautique. Et ce, en vue d’impulser une dynamique de transfert technologique, d’innovation, de montée en gamme et d’insertion dans les chaînes de valeur globales.
Le mouvement de relocalisation d’entreprises européennes implantées en Asie du Sud-Est, attendu comme une réponse aux considérations de sécurité nationale, environnementales, de délai d’exécution, voire de compétitivité est une opportunité à saisir et à intégrer dans notre stratégie.
Aussi, le regain de compétitivité espéré ne saurait être atteint sans une politique de préservation et un cadre d’attraction du capital humain face à une fuite de cerveaux fort inquiétante.
Formation, rémunération, R&D et valorisation des métiers de l’industrie devraient ne pas échapper à la nouvelle stratégie. A ce titre, il est recommandé de se référer au rapport élaboré par le Conseil d’Analyses Economiques en 2019 dans le cadre de son initiative louable visant la mise en place d’un « pacte pour la compétitivité économique et l’équité sociale » ainsi que des pactes sectoriels. Ce rapport a été le fruit d’une approche participative faisant intervenir tous les acteurs et les parties prenantes (Gouvernement, UTICA, CONECT, UGTT…). Il présente un ensemble de mesures détaillées en vue de relancer la compétitivité de l’économie tunisienne et en particulier de l’industrie et il peut constituer un bon point de départ pour le gouvernement.
Redorer le blason de l’industrie tunisienne grâce à une stratégie ambitieuse est légitime. Notre industrie n’a-t-elle pas été pionnière dans la rive sud de la Méditerranée !
Cela requiert un Etat stratège et déterminé…
La crise Covid-19 a rappelé au monde entier à quel point l’industrie est stratégique pour la sécurité nationale, notamment en limitant la dépendance de pays étrangers. Ses séquelles sur l’économie tunisienne ne devraient justement pas nous détourner d’un tel objectif. Bien au contraire !