Depuis quelques semaines, le torchon brûle entre le Gouvernement et les docteurs en chômage.
Il faut reconnaître qu’il s’agit non seulement de l’un des malheurs de ce pays; mais d’une erreur stratégique monumentale commise il y a bien deux décennies.
Alternative au chômage
C’est un malheur parce que ces revendications nous amènent à se poser une question fondamentale: est-ce qu’un docteur ne peut travailler qu’auprès de l’Etat, notamment comme enseignant?
Un docteur est censé avoir un esprit critique développé et une plus grande capacité à innover. Sur papier, créer une entreprise devrait être beaucoup plus facile pour le titulaire d’un tel diplôme.
C’est vrai que le chemin de l’entrepreneuriat n’est pas facile, mais nous voyons quotidiennement des jeunes avec très peu de moyens et un moindre niveau intellectuel qui parviennent à passer le cap.
Cette situation reflète un problème de sélection. Un poste de doctorant doit être normalement réservé à une minorité qui a excellé durant son parcours universitaire.
« Un docteur est censé avoir un esprit critique développé et une plus grande capacité à innover… »
En Tunisie, s’inscrire en thèse n’est autre qu’une alternative au chômage, surtout pour les spécialités qui relèvent des sciences humaines et sociales. Cette tendance a été encouragée par les différents gouvernements depuis l’ère de Ben Ali. L’ouverture d’un maximum de postes permettait de gonfler les chiffres d’une part, et réduire le nombre de demandeurs d’emplois d’une autre.
Ainsi, l’année universitaire 1998-1999 affichait 2 720 inscrits en doctorat, avec 250 diplômés. Ces chiffres étaient compatibles avec la taille de notre économie. L’université était capable d’absorber ce nombre de docteurs. L’ascenseur social fonctionnait à merveille et être étudiant-docteur signifiait, dans le temps, un avenir clair et confortable.
Aujourd’hui, le tableau est totalement différent. Pour l’année universitaire 2018-2019, nous avons 11 629 inscrits en doctorat et 2 359 diplômés. En même temps, le nombre des postes à pourvoir a chuté pour des raisons budgétaires et démographiques. Sur la dernière décennie, la machine universitaire tunisienne a produit 13 176 docteurs contre 4 990
durant celle d’avant.
L’absence des entreprises
Si tout projet de thèse était lié à une fin économique, cette armée de docteurs serait un atout. Malheureusement, nos étudiants ne traitent que des sujets classiques. Cela n’est pas entièrement de leur faute.
Il y a de gros problème au niveau des bases de données, ce qui rend le traitement de certaines problématiques impossible. En général, la majorité des thèses se ressemblent et sont mises dans l’oubliette immédiatement après la soutenance car elles n’ont pas de valeur ajoutée réelle.
Cela n’est possible que si les entreprises ouvrent leurs portes et financement ces travaux. Il faut accepter aujourd’hui que le succès de tout le système passe par une implication plus importante du secteur privé dans le monde de la recherche universitaire. Mais si nous continuons à dissocier les deux sphères, les deux parties sont perdantes. D’ailleurs, le nombre de brevets est faible. De même, et exception faite des doctorants ingénieurs, médecins et pharmaciens, rares sont ceux qui parviennent à publier des travaux dans une revue de premier rang.
« Malheureusement, nos étudiants ne traitent que des sujets classiques. Cela n’est pas entièrement de leur faute »
Entre temps, la qualité de l’enseignement supérieur continue à se dégrader et nous avons de la peine à remplacer des enseignants expérimentés qui partent vers les pays du Golf ou qui quittent à la retraite. La situation actuelle n’encourage pas les bons éléments à emprunter la voie de la recherche. Nous perdons le potentiel de la branche.
Maintenant, il faut faire plusieurs tours de vis de sorte à n’accepter que les valables et s’ouvrir davantage sur le monde de l’économie réelle.
Pour ceux qui ont déjà leurs diplômes, il n’y a pas de solutions magiques. Il convient de leur avouer que l’Etat ne peut pas les recruter.
En effet, le maximum à faire ce sont des mécanismes spécifiques pour financer la création d’entreprises. Les docteurs doivent accepter ce genre de solutions. Car, en réalité, il n’y a pas mieux.