La maître-assistante en droit public à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis Jinan Limam affirme que le Chef du gouvernement a tranché en présentant sa démission conformément à l’article 98 de la Constitution. Et ce, malgré le dépôt d’une motion de censure par le bloc parlementaire du mouvement Ennahdha et ses alliés pour lui retirer la confiance.
Dans une déclaration à leconomistemaghrebin.com, Jinan Limam rappelle que dans ce cas précis, il revient au Président de la République et à lui seul de charger la personnalité la mieux à même de parvenir à former un nouveau gouvernement. Conformément aux dispositions de l’article 89 de la Constitution.
Pour cela, le Président de la République est tenu d’engager, dans un délai de dix jours, des consultations avec les partis. Ainsi que les coalitions et les groupes parlementaires. Quant au candidat désigné pour occuper le poste de chef du gouvernement, il doit former un gouvernement dans un délai maximum d’un mois. Si l’ARP n’accorde pas la confiance au chef de gouvernement désigné, dans un délai qui demeure très hypothétique, en raison des lacunes du texte constitutionnel, le Président de la République peut dissoudre l’Assemblée et convoquer des élections législatives anticipées.
L’article 98 de la Constitution a tranché
« Je ne crois pas que l’on se trouve en présence d’une concomitance de deux mécanismes susceptibles de mettre fin au gouvernement mais plutôt d’un seul à partir du moment où le chef du gouvernement a présenté sa démission conformément à l’article 98 de la Constitution ». Affirme Jinan Limam à leconomistemaghrebin.com.
Pour Jinan Limam, malgré la polémique provoquée par le mouvement Ennahdha et ses alliés sur les circonstances et la chronologie du déclenchement des deux procédures, la question est pourtant tranchée sur le plan juridique puisque conformément à l’article 97 de la Constitution « une motion de censure contre le Gouvernement est un mécanisme qui sert à engager la responsabilité politique du Chef du gouvernement. Or ce dernier a présenté sa démission le jour même du déclenchement de la procédure de la motion de censure à l’ARP ». Par conséquent, le mécanisme perd son objet et sa raison d’être et il serait, d’un point de vue juridique, absurde de le poursuivre.
Répercussions dangereuses au niveau politique
Par ailleurs, notre invitée ne manque pas de lancer un cri d’alarme. Car « sur le plan politique, poursuivre les procédures de la motion de censure en dépit de la démission du Chef du gouvernement est très dangereux car cela menace l’unité et l’intégrité nationale et nous renvoie à un scénario de guerre civile avec l’éclatement du pouvoir de l’Etat entre autorités rivales qui s’autoproclament légales et légitimes. Comme ce qui se passe en Libye depuis 2014 ».
Par ailleurs, « cette première étape du mécanisme de la motion de censure n’a pas un effet suspensif de la démission parce que ladite motion n’existe juridiquement pas et ne produit ses effets que si elle est votée à la majorité absolue des membres de l’ARP et toutes les procédures qui précèdent le vote sont donc de simples actes préparatoires ». Car, toutes les phases doivent être accomplies.
« Pour qu’une motion produise ses effets, il faut l’accomplissement de toutes ces phases procédurales. A savoir, la présentation de la demande motivée par au moins le tiers des membres de l’Assemblée. L’expiration d’un délai de quinze jours à compter de son dépôt auprès de la présidence de l’Assemblée. Et bien évidemment l’approbation de la motion par l’ARP et la désignation d’un nouveau Chef de gouvernement ».
Que faire en l’absence d’un arbitrage par la Cour constitutionnelle ?
Ni la Constitution, ni la loi organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015, relative à la Cour constitutionnelle ne prévoient de mécanismes spécifiques pour résoudre ce genre de situation. En effet, outre ses attributions portant sur le contrôle de la constitutionnalité des normes juridiques. La Cour constitutionnelle se dote de compétences relatives au fonctionnement des pouvoirs publics. Uniquement dans les cas suivants :
-L’article 80 de la Constitution sur l’état d’exception impose au président de la République d’informer la Cour constitutionnelle des mesures qu’il prend. Dans le cadre de l’état d’exception. Et elle peut au-delà de 30 jours être saisie par le président de l’Assemblée. Ou par trente députés en vue de vérifier si la situation exceptionnelle persiste.
– Quant à l’article 84 de la Constitution, il lui confère la compétence de constater la vacance provisoire. Ou la vacance définitive du poste de Président de la République
– A propos de l’article 88 de la Constitution. Sur la révocation du Président de la République. La Cour est compétente pour statuer à la majorité des deux tiers sur l’existence d’une violation manifeste de la Constitution. Quand celle-ci est constatée par les deux tiers des membres de l’ARP.
Si la Cour constitutionnelle conclut à son existence, le président de la République est révoqué. Et il est mis fin à son mandat.
-L’article 101 de la Constitution accorde à la Cour constitutionnelle le pouvoir de régler les conflits de compétence. Entre le président de la République et le président du Gouvernement. Et ce, à la demande de l’un d’entre eux.
En l’absence d’un arbitrage par la Cour constitutionnelle, il incombe certes aux pouvoirs politiques (législatif et exécutif) d’agir de façon sensée. Responsable et respectueuse de la Constitution. Et d’éviter les manœuvres politiques susceptibles de mettre en danger le pays. Mais selon l’article 72 de la Constitution. La responsabilité principale de veiller au respect de la Constitution revient au Président de la République.