Sans détour, recourant à des arguments pertinents l’enseignant-chercheur en droit public et sciences politiques Khaled Dabbabi plaide pour l’instauration de la troisième république tunisienne.
A l’occasion du 63ème anniversaire de la proclamation de la République, il est important de rappeler ses principes. Pourrait-on dire que les principes de la première république, qui étaient avant-gardistes dans un contexte historique bien déterminé, sont en aujourd’hui obsolètes?
Les principes de la première République sont : liberté, justice,ordre et souveraineté nationale. Elles s’inspirent des valeurs et principes universels et ne peuvent jamais devenir, par voie de conséquence, obsolètes. Le problème de la première République est que certains de ces principes sont restés constamment de simples lettres mortes. Mieux encore, ils ont été constamment violés et bafoués par les régimes en place. La valeur de la liberté par exemple a été vidée de sa signification par la concentration des pouvoirs et le non-respect flagrant des droits et des libertés fondamentaux.
Depuis la version initiale de la Constitution du 1er juin 1959, on a instauré un présidentialisme qui concentrait tous les pouvoirs entre les seules mains du président de la République. Une situation qui permettait au chef de l’État de monopoliser le pouvoir exécutif et de dominer à la fois le pouvoir législatif et celui juridictionnel. Les violations des droits de l’homme ont été facilitées par l’absence d’une juridiction constitutionnelle chargée de veiller au respect de la Constitution et sa suprématie. Même la création du Conseil constitutionnel en 1987 par décret et son insertion dans la Constitution n’ont pas modifié la situation dans la mesure où ce conseil était sous la tutelle, au niveau de sa composition et son fonctionnement, du Président de la République.
L’absence de cette garantie juridictionnelle de la Constitution explique toutes les révisions constitutionnelles faites sur mesure par les régimes en place et qui sont allées dans le sens du renforcement des pouvoirs de l’exécutif au détriment de l’idée de la liberté. La révision constitutionnelle la plus significative dans ce sens était celle de 1975 qui a déclaré la présidence à vie au profit du président Bourguiba et qui l’a doté en quelque sorte du statut d’un « monarque républicain ». Économiquement, l’idée de justice et d’égalité était bafouée par un échec cuisant de mettre en place un modèle économique clair efficace et capable de créer la richesse et le développement pour toutes les régions du pays.
La Constitution de 2014 a scellé l’avènement de la deuxième République tunisienne. Six ans après la promulgation de cette Constitution et le commencement de la deuxième république, il serait légitime de parler du bilan de cette Constitution et de cette deuxième république
Au niveau des libertés et droits, cette Constitution n’a pas empêché la condamnation des personnes à cause de leurs convictions ou opinions. L’absence de la Cour constitutionnelle a laissé un vide terrible et dangereux dans ce sens. Sans la Cour constitutionnelle la Constitution et les droits qu’elle protège et proclame restent un simple programme politique et social dont le respect relève du seul pouvoir discrétionnaire des gouvernants. Par ailleurs, le système politique mis e place par la Constitution et les autres textes (loi sur les partis, loi électorale) est un système stérile qui souffre d’une très grande instabilité et fragilité. Un système de particratie qui met les partis au dessus de l’État de la patrie.
Faut-il penser à l’instauration de la troisième république? Si oui l’amendement de la Constitution et du régime politique s’impose-t-il ?
Le changement de ce système stérile est plus qu’urgent. On doit aller à un système qui permet au gouvernement de gouverner réellement et d en assumer la responsabilité politique et électorale devant le peuple après. Cela passe nécessairement par la modification des règles de jeu politique en rationalisant davantage les lois sur les partis et les associations et en substituant le scrutin à la proportionnelle par celui majoritaire.
La deuxième République est arrivée à une impasse. Elle a engendré un système stérile et inefficace. La moyenne de la survie d’un gouvernement ne dépasse pas une seule année. C’est une moyenne qui nous rappelle les régimes parlementaires les plus vulnérables et les plus fragiles comme celui de la 4ème République française et de l’Italie de la deuxième moitie du siècle dernier. Un État ne peut jamais fonctionner avec une telle instabilité. Une nation ne peut jamais évoluer et progresser avec de tels désordres, manque de vision et absence de stratégie claire.
La deuxième République a échoué jusque-là à achever la mise en place d’instances importantes telles que la Cour constitutionnelle et les instances constitutionnelles indépendantes. On a souvent tendance à oublier que la démocratie n’est pas une finalité en soi mais un outil pour arriver au progrès, à la prospérité et au bonheur. Une refonte de taille s’impose pour passer un régime plus stable et efficace. Un passage à la troisième République est plus qu’indispensable.