La nouvelle est tombée comme un coup de tonnerre. Foudroyante. Le choc de la mort subite de Mohamed Faouzi Blout est terrible et nous laisse sans voix. Difficile de se remettre de sa disparition. On a peine à le croire, tellement il était plein de vie; brillant d’intelligence et de talent. Et pétillant d’un humour dévastateur.
Mohamed Faouzi Blout nous quitte à sa manière quasi furtive, sans prévenir, sans déranger, le sourire aux lèvres et le geste révérencieux. La veille encore, il appelait comme il le faisait habituellement pour s’enquérir, avec sa bonne humeur, de sa chronique devenue au fil des semaines et des mois l’espace-phare, le symbole et le porte-voix du Magazine.
Sa curiosité autant que sa disponibilité et son agilité intellectuelle n’avaient pas de limite. Rien ne le laissait indifférent, rien ne lui échappait qui puisse porter atteinte à la personne et à la dignité humaine. Il s’indignait de la moindre injustice. Rien ne lui faisait autant de mal que de voir le pays malmené, sa révolution démocratique dévoyée et son avenir confisqué. Il s’insurge et se révolte chaque fois que l’image du pays, sa signature et son rang sont égratignés et viennent à souffrir de nos négligences. Il avait une certaine idée de la Tunisie, de sa diplomatie qui n’avait d’égale que sa très longue histoire. Rien n’est aussi beau, aussi grand à ses yeux que la grandeur de ce pays qu’il porte au plus profond de lui-même, qu’il avait accroché au corps. Où qu’il fut dans sa longue carrière de diplomate, en Europe, en Asie et au Moyen-Orient, à Beyrouth, le réceptacle de tous les affrontements idéologiques, des guerres d’ombres et des stratégies d’influence, il n’avait de cesse que de servir l’amitié entre les peuples, tout autant que les intérêts de la nation.
Il avait le verbe haut et fort et le mot ciselé et respectueux comme l’exigent sa fonction et son statut d’ambassadeur. Il n’avait d’allégeance que pour le pays et sa grandeur passée. Il dut bien des fois, en esprit libre et indépendant, casser les codes et faire fi des mauvais réflexes en se mettant au seul service du pays; au risque de s’attirer les foudres des zélateurs du régime en place. A Beyrouth, qui fut son dernier poste en 2011, il a remué ciel et terre pour récupérer au profit du pays les fonds que les dignitaires de l’ancien régime détenaient au Liban. Et il y est parvenu tant il était estimé et respecté.
A la déraison qui s’empara du pays ces dernières années, il opposait de sa belle plume, sans doute l’une des plus élaborée et aboutie, la dérision. Ce chevalier de la plume- il est diplômé de l’IPSI- maniait l’humour à la perfection. Un humour intelligent, d’une grande finesse et avec un large éventail d’élégance. Il savait d’où il venait. Il était pleinement habité par la diplomatie et ce qui fait sa noblesse. Il était à la fois courtois, affable, disponible, ferme, exigeant, ouvert et jamais arrogant ou irrespectueux… Chez lui la diplomatie c’est l’art de l’excellence. Elle doit briller de mille feux pour que le pays rayonne. Il savait se montrer souriant même quand il laissait exploser sa colère.
Mohamed Faouzi Blout nous quitte au moment où on avait le plus besoin de lui. Il laisse derrière lui un vide sidéral chez les siens, son épouse et ses enfants et dans notre famille journalistique qui est aussi la sienne. Il nous quitte au moment où le pays amoindri, ballotté par la crise, s’interroge de nouveau sur son sort et sur son propre avenir. Nous allons être privés de sa parole et de sa voix qui portaient le plus loin possible. Elles étaient l’incarnation de la raison, de la sagesse, de la loyauté et de l’attachement à son pays et à sa ville natale, Sousse, dont il ne se séparait jamais où qu’il ait été de par le monde. Personne pour le remplacer et pas même pour lui succéder.
Notre douleur, celle de son épouse, de ses enfants, de sa famille élargie, à qui nous présentons nos sincères condoléances les plus attristées, de ses amis et de ses lecteurs est immense. A la mesure de la bonté et de la grandeur d’un homme d’exception. Il nous quitte à la manière des stars et des artistes de sa trempe. Il se retire de la scène avec les honneurs dus à un homme qui a servi son pays comme on pouvait rarement le faire. C’est le message et le testament qu’il nous lègue. Chapeau bas. Salut l’artiste. Allah yarhmou!