En démocratie, comme en toute chose, il y a la règle et l’exception. La règle est que les partis politiques sollicitent l’adhésion du corps électoral à leurs programmes et gouvernent, conformément aux résultats des élections. Et l’exception consiste, en cas de danger grave ou existentiel, à mettre momentanément de côté les partis politiques, et de donner la responsabilité de la gestion de la chose publique à des compétences indépendantes. Le temps que le danger s’estompe. Et notre pays est en danger. Il y va de son existence même en tant que nation.
Cette description concerne les vraies démocraties fonctionnant avec de vrais partis politiques, mais aussi les fausses démocraties qui fonctionnent avec des caricatures de partis. Et pour être franc et honnête, tout au long de la décennie noire 2011-2020, la démocratie à la tunisienne était moins un système de gouvernement qu’un fonds de commerce sur lequel les partis politiques, et Ennahdha en tête, ont fait main basse pour servir leurs seuls intérêts, dans le mépris le plus total des intérêts du pays et de ses habitants.
Si le pays est aujourd’hui menacé d’effondrement, c’est parce que les partis politiques qui ont investi le pouvoir se sont avérés constamment affamés d’avantages sonnants et trébuchants. Ce sont leur avidité, leur cupidité et leur voracité qui expliquent l’évaporation des sommes d’argent faramineuses. Celles laissées par « la dictature » dans les caisses de l’Etat et celles venues de l’étranger sous forme de dons et de crédits. Peut-être un jour la justice décidera-t-elle de se pencher sur ce qu’on peut appeler « le casse de la décennie noire ».
Donc, pour revenir à notre sujet, les partis qui ont gouverné pendant toute une décennie ont pris pour prétexte la démocratie en vue de monopoliser le pouvoir et jouir de ses avantages.
En une décennie, nous avons vu défiler des centaines de ministres. Sans oublier que chaque ministre s’entoure de dizaines de conseillers et d’hommes de confiance jouissant d’avantages exorbitants sans rapport avec leurs compétences ni leur rendement…
En d’autres termes, des milliers de ministres, de conseillers et de hauts fonctionnaires, choisis par les partis qui gouvernent, ont été payés et même surpayés pendant dix ans pour aboutir à cet état d’effondrement généralisé sans précédent.
Il était donc plus que temps que l’on tourne enfin le dos à la règle (les partis gouvernent) et recourir à l’exception (les partis cèdent la place à des compétences indépendantes).
Le président Kais Saied et le chef du gouvernement Hichem Mechichi ont pris la décision que la majorité des Tunisiens appelaient de leurs vœux: mettre fin au moins momentanément aux combines, magouilles et manœuvres dans l’ombre auxquelles s’adonnent les partis qui s’accrochent pathétiquement au pouvoir et à ses avantages.
La décision de M. Mechichi de former un gouvernement de compétences « totalement indépendantes » a pris de cours les partis, principalement Ennahdha, qui, après dix ans d’affilée au pouvoir, cache mal son désarroi de se retrouver au pied du mur.
Les envolées lyriques de ses cadres sur les vertus de la démocratie et leur crainte simulée du « retour de la dictature » ne trompent personne. Elles trahissent plutôt l’angoisse de voir le pouvoir leur échapper avec toutes les conséquences politiques et judiciaires qui pourraient en découler.
Quoi qu’il en soit, les partis, et en particulier ceux qui disposent d’un nombre important de députés au parlement, se trouvent entre le marteau et l’enclume: avaler la couleuvre d’un gouvernement « totalement indépendant » ou aller vers des élections anticipées avec le risque pour certains de laisser des plumes. Beaucoup de plumes.