Le statut de la femme tunisienne est unique dans le monde arbo-musulman. Les chiffres montrent des avancées remarquables. Encore faut-il les préserver. Car, pour des observateurs, la vigilance doit être toujours de mise.
Lorsque la Tunisie adopte le Code du statut personnel, le 13 août 1956, le pays vient juste d’obtenir son indépendance (20 mars 1956). La Tunisie n’est pas encore une République et est dirigée par le dernier bey de la dynastie husseinite, Mohamed Lamine Bey. Des informations qui montreraient pour certains historiens un incontestable empressement du Premier ministre de l’époque, Habib Bourguiba, à doter le pays d’une loi progressiste qui instaure une égalité homme-femme.
Le texte, on le sait, est une des réformes que le premier président de la République tunisienne voulait fondatrice de la Tunisie dont il rêvait : « elle abolit la polygamie, crée une procédure judiciaire pour le divorce et n’autorise le mariage que sous consentement mutuel des deux époux ».
Un tout autre visage
Une véritable révolution à cette époque. Et même à notre époque : la Tunisie, à l’exception de quelques rares pays, ne sera pas suivie par un monde arabo-musulman où les droits de la femme sont en retard par rapport à ce qui se fait dans le monde développé.
Les réformes introduites par le premier président de la République tunisienne donnent aujourd’hui un tout autre visage à la Tunisie. Celui d’une société où la femme a, malgré tout, réussi de grandes avancées.
De nombreux chiffres donnent la preuve de ces avancées. « Les femmes travaillent dans tous les corps de métier, dont l’armée, l’aviation civile ou militaire et la police et représentent 72 % des pharmaciens, 42 % du corps médical, 27 % des magistrats, 31 % des avocats et 40 % des professeurs d’université ».
Pour un meilleur statut pour la femme
En outre, « entre 10 000 et 15 000 sont chefs d’entreprise ». « Les filles représentent 59,5 % des étudiants de l’enseignement supérieur ». « Le taux d’analphabétisme des femmes de 10 ans et plus est passé de 96 % en 1956 à 58,1 % en 1984, 42,3 % en 1994 puis 31 % en 2004, bien que le taux masculin soit de 14,8 % en 2004 ».
La Tunisie est, à ce stade, citée en exemple. Beaucoup affirment, à ce propos, que le Code du statut personnel n’a été rendue possible que parce que la société tunisienne l’a adopté sans trop d’adversité. Lorsque le texte du Code est promulgué, la majorité des Tunisiens sont notamment monogames. Sans oublier également que l’histoire du pays est marquée par des faits d’armes de femmes qui ont compté.
Fatma Fehria, qui a bâti une des plus grandes universités musulmanes, celle de Fès (Maroc), Aroua Al Kawraouanya, dont le nom est associé à l’acte de mariage kairouanais et qui a obligé, grâce à cet acte,le second khalife abasside, Abou Jaafar Al Mansour, à ne pas prendre une seconde épouse sans son consentement et Oum Millel, qui a été la régente de Moez Ibnou Badis, émir sanhajite, avant qu’il accède au trône, sont encore des exemple vivants.
Sans oublier l’existence de dirigeants et d’intellectuels qui ont plaidé en faveur d’un meilleur statut pour la femme. Comme Taher Haddad, Cheikh Mohamed Senoussi, Abdelaziz Thaalbi, le Cheikh Mohamed Fadhel Ben Achour et Salem Bouhajeb.
Appeler à la polygamie
Est-ce à dire que tout va pour le mieux en Tunisie en matière des droits de la femme et qu’un conservatisme ne tente pas de remettre en cause les acquis de la femme. De nombreux observateurs font état, à ce juste propos, de ce qui semble être un réel enterrement de la réforme prônée par l’ancien président de la République, Mohamed Béji Kaïd Essebsi, en matière d’égalité de l’héritage hommes-femmes.
Voici ce qu’écrivait Hafidha Chekir, une universitaire tunisienne, dans cet ordre d’idées, dans un article scientifique publié en 2016 : « Profitant du climat d’ouverture et de liberté postrévolutionnaire, les courants religieux ont commencé à s’organiser en associations, voire enpartis politiques, à faire de la mobilisation autour de leur idéologie età diffuser une culture de remise en cause des acquis de la Tunisie depuis l’indépendance, invitant même des dignitaires religieux de pays duMoyen-Orient, à venir propager leurs idées et convictions ».
Elle ajoutait : « Le meilleur exemple nous est fourni par l’invitation lancée à un dignitaire religieux égyptien du nom de Wajdi Ghanim, qui a tenu des conférences dans la plupart des villes tunisiennes pour appeler à la polygamie » (Voir Les droits des femmes en Tunisie : acquis ou enjeux politiques ?, revue Hérodote 2016/1-2 (N° 160-161), pages 365 à 380, lien : https://www.cairn.info/revue-herodote-2016-1-page-365.htm#)
Et l’auteure d’évoquer en conclusion de cet article, fortement documentée, une « vigilance continue des femmes et de la société civile pour la préservation des acquis des femmes. Et par voie de conséquence, la consécration de la démocratie égalitaire ».