Les chiffres de la croissance de l’économie tunisienne et du chômage choquent la communauté économique tunisienne. Il faut avouer que les contre-performances dépassent les estimations les plus pessimistes.
Alors qu’on s’attendait à une baisse à deux chiffres, passer sous la barre des -20%, en glissement annuel, était une surprise. Aucun spécialiste n’a intégré d’aussi mauvais rendements de l’économie tunisienne. Le tableau actuel confirme aussi que l’ensemble du modèle économique tunisien est arrivé à bout.
Les secteurs exportateurs s’effondrent
A l’exception de l’agriculture qui a pu profiter de la période du confinement, toutes les autres branches s’effondrent. Si nous analysons davantage le peu de chiffres disponibles, nous allons observer que ce sont les secteurs exportateurs qui causent l’essentiel de cette chute libre.
Ainsi, le segment Textile, Habillement et Cuirs perd 42% de sa valeur ajoutée. Alors les Matériaux de construction, Céramique et Verre affichent une baisse de 38,4%. Les Industries Mécaniques et Electriques reculent de 35,9%, celles Chimique de 3,6%.
Quant aux Services d’Hôtellerie et de Restauration, fortement exposés à la clientèle étrangère, ils laissent également des plumes. Avec une perte sèche de -77,5% de leurs valeurs ajoutées. Idem pour le Transport, qui dépend intimement des performances de la compagnie aérienne porte-drapeau TUNISAIR; avec un déclin de 51,4%.
Parmi les mauvaises surprises, il y a le recul des Industries Agroalimentaires au cours du deuxième trimestre de 3,6%. Ce qui montre que la demande interne a atteint ses limites. Après un très bon premier quart de l’année, le rythme de la production baisse; surtout avec la fin de la saison oléicole.
De ce fait, les conséquences sur le chômage sont claires. En effet, ces secteurs ont détruits en trois mois 66 500 emplois. Soit près de 60% des chômeurs additionnels sur la période.
Le prix des conflits sociaux
De même, on retrouve aussi les industries non manufacturières; où la baisse enregistrée (-27%) n’est pas seulement à imputer à la crise sanitaire. Pour les activités extractives, une grande part revient aussi aux grèves et au blocage des sites de production; sous le prétexte de contestations sociales.
Et le problème, c’est que ces mouvements ne pénalisent pas seulement les activités extractives. Les répercussions s’étendent aux autres secteurs productifs. L’agriculture ne trouve pas les engrais au bon moment. Les industries chimiques manquent de matières premières. Le transport des phosphates et des carburants baisse. Les problèmes de la STEG s’aggravent. Car elle doit continuer à importer du Gaz pour faire fonctionner ses turbines et nos importations continuent à augmenter.
Ainsi, c’est toute une chaîne qu’il convient de traiter en urgence. Depuis des années, elle nous fait perdre des points précieux de croissance. Et il n’est plus acceptable de vivre cette situation de nouveau.
L’administration pèse aussi
En outre, l’élément oublié et qui, à notre avis, biaise les estimations reste les services non marchands. Soit ceux fournis gratuitement ou à des prix économiquement peu significatifs.
Avec l’arrêt prématuré de l’année scolaire, la réduction de la voilure en matière de santé, de transport et des divers services administratifs, la valeur ajoutée a lourdement chuté de -15,8%. Les efforts de digitalisation ne donnent pas un effet immédiat. Mais cela devrait s’améliorer progressivement.
Ainsi, la masse salariale asphyxie le Budget de l’Etat. Il a atteint le seuil record de 74% des recettes fiscales fin juin 2020. Cette masse donc n’a pas réellement servi à booster la croissance.
Par ailleurs, nous n’avons pas les chiffres de la branche Commerce (près de 10% du PIB). Mais nous tablons sur une baisse significative. Cette masse monétaire n’a fait qu’augmenter le pouvoir d’achat. Lequel a été orienté vers les produits de première nécessité et subventionnés, sans être injectés dans le circuit productif.
Cela explique d’ailleurs l’accélération de l’inflation durant les deux mois du confinement. Avant de reculer sous le poids de la baisse du pouvoir d’achat, conséquence naturelle d’un chômage en hausse.
2020, une année économique blanche
Et ce que nous vivons ces jours n’inspire pas confiance eu égard à l’économie tunisienne. Nous remarquons tous le déclin de la consommation et la dégradation de la situation économique d’une large partie de la population.
Plus la crise dure, plus l’économie tunisienne se fragilise. Et plus la marge de manœuvre de l’Etat pour apporter des aides sociales se rétrécit. S’il a été capable de distribuer 200 dinars à plus d’un million de foyers en avril et mai, cela ne serait pas aussi évident en cas de besoin similaire.
Au cours du troisième trimestre, l’hémorragie du tourisme a continué et les activités exportatrices ne se sont pas parvenues à redémarrer. Quant au mois de juillet, les exportations se sont établies à 3 303 millions de dinars. Soit une baisse de 13% par rapport à l’année dernière. De plus, la baisse des importations provient en grandes partie des outils de production et des matières premières. La peine de secteurs qui ont conduit à ce massacre de croissance au premier semestre va donc continuer à sous-performer. Et ce, en dépit d’une légère amélioration attendue en rythme séquentiel.
Changer progressivement de modèle
Ainsi, la petite taille du marché interne a contribué à ce que nous vivons aujourd’hui. Nos usines fabriquent des produits à faible ou moyenne valeur ajoutée adressés essentiellement aux grands marchés européens. Ce modèle doit être conservé et amélioré. Mais nous devons développer en parallèle la vente de l’intelligence. Et ce sont des services créateurs de valeurs et qui résistent beaucoup mieux que les industries classiques.
Cependant, ce passage ne peut pas se faire en quelques années. Il faudra des décennies pour l’accomplir. Entre temps, nous devons gérer nos problèmes qui ne cessent de s’aggraver.
Alors, une stabilité politique est plus que nécessaire durant les années à venir. Pourvu que l’ARP assimile ce message.