L’accord de normalisation Israël-Emirats arabes unis continue de susciter réactions, commentaires et controverses dans la presse arabe et internationale et dans les milieux dirigeants.
Les peuples arabes du Golfe à l’atlantique, de par l’extrême intensité de leurs problèmes économiques et sociaux, ne semblent guère interpellés par l’accord Israël-Emirats arabes unis.
A part quelques modestes mouvements de foule à Gaza et à Ramallah, l’indifférence populaire tranche avec le bouillonnement observé au sein des élites où l’accord est âprement discuté. Défendu bec et ongles où descendu en flammes, selon le camp auquel appartient l’orateur ou le commentateur.
Beaucoup de bruit pour rien, comme dirait Shakespeare ? Sans doute. Car les choses sont très claires et très simples. Tout d’abord, et ce n’est un secret pour personne, les pays pétroliers du Golfe entretiennent depuis des années des contacts et des relations avec Israël.
Quelques mois avant sa mort, le Sultan omanais Qabous avait reçu en grande pompe le premier ministre israélien Netanyahu accompagné de sa femme et d’une délégation imposante. Sans parler du Mossad qui tient le haut du pavé dans les pays du Golfe.
En fait, les EAU n’ont franchi aucun pas envers Israël. Ils n’ont fait que rendre publique une relation entretenue secrètement depuis des années. On ne peut pas dire que Mohammed Ben Zayed, MBZ pour les intimes, l’a fait de gaité de cœur. Il aurait sans doute aimé faire l’économie des réprimandes palestiniennes, des remontrances iraniennes et des vociférations turques qui puent l’hypocrisie.
Oui, en effet, la Turquie qui, il a déjà 70 ans, a ouvert une ambassade à Tel-Aviv, menace aujourd’hui de rompre les relations diplomatiques avec les Emirats !!! Et Erdogan qui, en pleine répression de l’intifada de 2000, était reçu à bras ouverts à Jérusalem par son ami Sharon, traite aujourd’hui Mohammed Ben Zayed de « traitre » !!! Mais est-ce étonnant de la part de celui qui signe les décrets successifs de délaÏcisation de la Turquie sous le portrait imposant de Mustapha Kemal Atatürk qui orne toujours son bureau ?!
Le tandem Trump-Netanyahu dans le pétrin
Mohammed Ben Zayed n’a pas rendu publique une relation secrète avec Israël de gaité de cœur. Il l’a fait sous la pression intenable et à laquelle il n’a pu résister et qui venait de Washington et des puissants lobbies pro-israéliens. Car, tout le monde sait que Donald Trump et Benyamin Netanyahu sont dans le pétrin.
Le premier, à deux mois de l’élection du mardi 3 novembre prochain, est dépassé dans les sondages d’opinion par son rival démocrate Joe Biden. Sa popularité est au plus bas, suite à sa désastreuse gestion de la crise sanitaire du Covid-19. Il a donc besoin du moindre petit événement qu’il puisse transformer démagogiquement en victoire dans l’espoir de réduire le fossé qui le sépare de son rival.
Le second vit dans le cauchemar du procès pour corruption qui l’attend dans quelques semaines. Lui aussi a donc besoin d’un événement qu’il puisse transformer en service rendu à l’Etat d’Israël dans l’espoir de gagner quelques points dans les sondages.
Survivre dans un environnement infernal
Il est donc clair que les soucis immédiats du tandem Trump-Netanyahu ne concernent ni la paix et la stabilité au Moyen-Orient, ni, encore moins, le bien-être des peuples de la région.
L’unique souci du premier est de se faire réélire, et le seul souci du second est d’échapper à la prison. Et Mohammed Ben Zayed s’est trouvé entrainé dans une situation où il est forcé de faire siens les soucis trop personnels du couple Trump-Netanyahu et d’aider, selon ses moyens trop limités, le premier à se faire réélire et le second à échapper à la prison.
On peut débattre longtemps des conséquences sur la région de la décision des EAU de normaliser ses relations avec Israël. On peut accuser MBZ d’avoir enterré l’initiative arabe de 2002 (paix contre territoires), et il peut répondre que sa décision est dans l’intérêt bien compris du peuple palestinien et on peut l’accuser de trahison contre le peuple palestinien, et il peut répondre qu’il n’est ni le premier ni le dernier à avoir normalisé les relations avec Israël. L’Egypte, la Jordanie et même les Palestiniens (Accords d’Oslo) l’ont fait avant lui, et le Bahrain et le Soudan pourraient bien le faire avant la fin de l’année…
La question centrale est celle-ci : en quoi ces joutes verbales concernent-elles les centaines de millions de citoyens arabes qui, du Golfe à l’Atlantique, n’ont qu’un seul souci : survivre dans un environnement infernal dont les caractéristiques principales sont le chômage, la misère, la violence et la corruption des élites politiques ?