Enfin la Tunisie! Ce moment, nous l’avions tellement rêvé, tellement espéré, tellement attendu que la plupart d’entre nous n’arrivait même pas à réaliser qu’il était bel et bien arrivé.
Dans l’avion, nous n’avions jamais été aussi nombreux à regarder par les hublots, guettant la moindre courbe lointaine et se languissant d’apercevoir cette terre promise, cette Tunisie petite par sa dimension mais ô combien grande par son histoire et par ce qu’elle représentait pour nous tous.
L’atterrissage, la prise de la température à l’arrivée, la douane, l’attente des bagages… Jamais nous n’avions été aussi disciplinés, aussi peu gênés par les divers couacs et aussi peu à râler contre tous ces petits tracas qui nous gâchaient trop souvent notre arrivée.
Il faut dire que cette année 2020 avait été particulièrement éprouvante, pour nous TRE et spécialement nous médecins tunisiens exilés un peu partout dans le monde. Sur ce que nous avons vécu, sur ce que nous avons vu comme chaos, comme panique. La plupart d’entre nous restera très vague et n’en parlera même pas. Par pudeur; mais aussi pour ne pas inquiéter nos familles plus qu’elles ne l’étaient déjà. Ces mois de confinement seuls dans nos petits espaces clos européens, où ni le soleil ni l’air frais ne semblaient vouloir pénétrer. Ces journées et ces nuits à lutter, à se battre, à prendre des décisions qu’aucun médecin n’avait été préparé à prendre. A lutter contre un ennemi invisible dont nous ne connaissions quasiment rien. Et qui allait nous réserver chaque jour des surprises toutes plus désagréables les unes que les autres.
Nous prenions part à cette lutte sans broncher, faisant ce que notre devoir de médecin exigeait de nous. Mais paralysés par une pensée quasiment impossible à refréner: qu’allait-il arriver à nos familles si le virus arrivait sur nos terres? Comment le système de soins tunisien, dont tous les acteurs n’ont cessé de prévenir depuis près d’une décennie de son érosion et sa détérioration, allait il pouvoir jouer son rôle, là où les systèmes de santé européens coulaient littéralement?
Heureusement, le tsunami qui devait déferler sur la Tunisie en mars ne fut en réalité qu’une petite vaguelette qui emporta néanmoins une cinquantaine de nos compatriotes. Nous avions échappé au pire.
Chacun ira de son commentaire sur les causes de ce miracle: le climat, une prédisposition génétique favorable, la vaccination anti tuberculeuse ou les mesures radicales mises en place dès le mois de janvier. Mais le fait était bien là: la Tunisie avait évité le pire. Nous, médecins tunisiens exilés, ressentions un mélange d’apaisement et de fierté absolue. Et nous pouvions continuer à faire notre travail le cœur un peu plus léger et l’esprit un peu plus détendu.
Puis, maintenant, enfin, nous pouvions rentrer retrouver les nôtres et décompresser. Mais nous n’étions vraiment pas préparés à ce que nous allions rencontrer au cours de notre séjour. Autant l’insouciance (qui frôlait souvent l’inconscience) de nos compatriotes revenus sans avoir pris un minimum de précautions; que le laisser-aller et la passivité des Tunisiens résidents en Tunisie.
Les premiers jours, quand nous sortions masqués, chose qui était devenue tellement banale et évidente pour nous, nous nous retrouvions épiés, dévisagés et agressés verbalement… Le masque est synonyme dans le monde entier de prévention. En Tunisie, il est malheureusement synonyme de maladie et ceux qui ont tenté de le mettre en ont reçu pour leur argent.
Alors, SVP, il est temps de se réveiller un peu et de commencer à arrêter de fustiger ces « imbéciles » de TRE et de se remettre tous un peu en question. Les gestes barrières sont de la responsabilité de tous les Tunisiens, peu importe leurs lieux de domiciliation. Ce que vit en cet instant la Tunisie n’est pas une deuxième vague mais bel et bien la première vague qui l’avait initialement épargnée.
La différence c’est que maintenant nous en savons beaucoup plus sur ce virus que ce que nous savions en mars.
Aujourd’hui, les espoirs de vaccin ou de remèdes sont de plus en plus réalistes et palpables…
Alors quel dommage cela serait de nous prendre ce Tsunami attendu en mars aujourd’hui… Mais pour éviter de couler, il faut absolument que tous les Tunisiens se réveillent et recommencent à appliquer les gestes barrières. Car le système de santé tunisien, malgré toutes ses compétences et sa bonne volonté, n’aura jamais les moyens de mener cette guerre tout seul.