Le Forum Ibn Khaldoun pour le Développement (FIKD) vient de publier un papier analyse. Et ce, sur l’évolution des principales composantes du budget de l’Etat pour la période 2011-2019.
L’analyse du FIKD (Eléments d’appréciation des finances publiques) compare les différents paramètres et ratios qui s’en dégagent. Avec ceux des neuf années antérieures ainsi qu’avec ceux d’un certain nombre de pays de l’OCDE, chaque fois où cela est possible. De façon à dégager quelques enseignements et orientations utiles au redressement des comptes de l’Etat. L’Economiste Maghrébin tire les principales conclusions de cette analyse qui concerne le budget de l’Etat.
Des dérapages de charges assumés par l’Etat
Ainsi, ce papier analyse montre que la situation du budget de l’Etat demeure très préoccupante. Et ce, malgré l’amorce d’un desserrement des pressions en 2018 et 2019. Le schéma de relance de la consommation adopté après 2010 a entraîné, en effet, un dérapage important au niveau des charges assumées par l’Etat au niveau des salaires et des traitements de la fonction publique. Ainsi qu’au niveau des dépenses de compensations et de subventions. Lesquels dérapages sont évalués, par rapport aux ratios de la période 2002-2010, à près de 5 points de pourcentage du PIB. Soit l’équivalent de 39 milliards de dinars; c’est-à-dire 23 milliards au niveau des salaires et 16 milliards de dinars au niveau des subventions.
Par ailleurs, les tiraillements politiques, l’instabilité gouvernementale et les tensions sociales tout au long des neuf dernières années ont entravé le processus de réformes. De même, elles ont nourri le climat d’attentisme. Entraînant un important recul de la Tunisie dans le palmarès mondial de la compétitivité économique globale (de la 32e place en 2010 à la 87e en 2019); une chute de l’investissement (de 24.7% du PIB en 2010 à 17.7% en 2019); un important ralentissement de la croissance (de 4.5% en 2002-2010 à 2% en 2011-2019) et des créations d’emploi dans les secteurs productifs.
Un lourd impact sur les finances publiques
Par conséquent, ces contreperformances ont eu d’importantes répercussions sur les fondamentaux macroéconomiques en général; et sur les finances publiques en particulier. Elles ont été largement ressenties au niveau du taux de change du dinar. Effectivement, il accuse, malgré le redressement relatif enregistré à partir du second semestre de 2018, une importante dépréciation. Elle est à l’origine des deux-tiers de l’augmentation de la dette publique entre 2014 et 2019.
En outre, l’effet de ces contreperformances a aussi eu un impact au niveau des recettes fiscales dont l’assiette se trouve affectée par le repli de la croissance. Amenant les autorités publiques à relever les taux d’imposition. Et à augmenter par voie de conséquence la pression fiscale sur le secteur organisé. Augmentant d’autant l’attrait du marché parallèle qui prend une dimension préoccupante.
Des répercussions cachées sur le budget de l’Etat
De plus, d’autres répercussions, non reflétées suffisamment par le budget de l’Etat, méritent d’être signalées. Elles concernent plus précisément:
- Les caisses de sécurité sociale dont la trésorerie, outre les problèmes structurels qui tardent à être solutionnés, se trouve sérieusement affectée par le ralentissement des créations d’emplois, et l’augmentation des impayés en relation avec les difficultés que vivent les entreprises. Les créances impayées de la CNRPS et de la CNSS vis-à-vis de la CNAM ressortent, selon le dernier rapport sur les entreprises publiques du ministère des Finances à plus 4 milliards de dinars à fin 2017 contre 3.2 milliards de dinars à fin 2016.
- Les entreprises publiques dont la situation financière continue à susciter de sérieuses inquiétudes. « Les résultats nets d’exploitation de ce secteur, qui étaient positifs de 1.2 milliard de dinars en 2010, sont devenus négatifs approximativement du même montant en 2015 » (Ouvrage de Mahmoud Ben Romdhane « Démocratie en quête d’Etat »). Du fait notamment de l’augmentation des charges d’exploitation en relation avec l’augmentation de l’effectif net de 25 000 environ entre 2010 et 2015 et la valorisation continue des salaires. La réactivation de la restructuration des entreprises publiques, aujourd’hui au bord de l’effondrement, revêt, désormais, un caractère de grande priorité. Sachant que la dette extérieure, contractée par les entreprises publiques et bénéficiant de la garantie de l’Etat, était évaluée à près de 12% du PIB en 2015.
Pour une approche globale de redressement des finances publiques
C’est pourquoi, la politique suivie jusqu’ici qui consiste à recourir principalement à l’augmentation de l’imposition et /ou de l’endettement pour préserver l’équilibre budgétaire a atteint ses limites. Et ce, compte tenu des importantes distorsions qui en résultent au niveau de l’allocation des ressources et de celui atteint par l’endettement public.
Il est donc impérieux qu’une approche globale de redressement des finances publiques, intégrant aussi bien le budget de l’Etat, que celui des collectivités locales, des caisses publiques de sécurité sociale et des entreprises publiques, s’éloignant de l’approche comptable, bénéficiant de l’appui notamment des organisations nationales, soit élaborée et mise en œuvre dans les plus brefs délais. Dans le cadre d’une démarche résolument volontariste en vue d’assurer:
- Une accélération de la réforme fiscale et parafiscale dans le sens: d’une plus grande simplification; d’une harmonisation des taux par rapport aux pays concurrents; d’un élargissement de l’assiette à travers l’intégration du marché parallèle dans le secteur organisé.
- Une rationalisation des dépenses publiques à travers notamment une profonde restructuration aussi bien de l’administration que des entreprises publiques. Pour se rapprocher des normes internationales en matière de coût-efficacité. Et une refonte de la politique de subvention et de compensation dans le sens d’un meilleur ciblage en faveur des personnes, des secteurs et des régions prioritaires.
Des réformes à engager rapidement
Il est, aussi et surtout, nécessaire, que les réformes, maintes fois annoncées, se rapportant notamment à l’enseignement et à la formation, au secteur bancaire et financier, à la protection sociale et à l’emploi, aux circuits de commercialisation et de manière générale à l’environnement d’investissement, de production et d’exportation soient engagées dans les meilleurs délais. Concomitamment à la clarification de la vision qui doit prévaloir en matière d’insertion de notre économie dans la chaîne des valeurs mondiales. En prenant en considération les atouts dont dispose la Tunisie sur les plans humain et géographique.
Alors, ce n’est qu’au prix de telles démarches que la Tunisie pourra retrouver une compétitivité compatible avec son potentiel réel. Et passer à des paliers supérieurs en matière d’investissement, de croissance et de création d’emplois; répondant davantage aux préoccupations du pays tant sur le plan national que régional. Et qu’elle pourra, finalement, remettre sur les rails les finances publiques et l’économie du pays sur des bases viables et soutenables.
Donner plus de marge de manœuvre au rééquilibrage du budget de l’Etat
Car un point de croissance du PIB de plus engendre 15 000 à 20 000 emplois supplémentaires et plus de 300 MDT de recettes fiscales additionnelles. Et, donc, une marge de manœuvre plus importante pour le rééquilibrage du budget de l’Etat. Ainsi que pour le rétablissement des fondamentaux de l’économie dans le cadre de coûts soutenables sur les plans politique et social.