Le ministre d’État, ministre auprès du chef du gouvernement chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption dans (l’ancien) gouvernement d’Elyès Fakhfakh l’a clairement signifié : il y a soupçon de blanchiment d’argent des chaînes de télévision.
Un état de fait qui n’a pas beaucoup surpris ceux qui suivent de près le paysage médiatique. Une réalité qui s’expliquerait en grande partie par un désengagement de l’Etat concernant une réforme du secteur des médias et qui lui aurait assuré un meilleur vécu que celui que nous vivons aujourd’hui. Hichem Mechichi a-t-il sa petite idée pour renverser la vapeur ? Faut-il croire Mohamed Abbou lorsqu’il a évoqué, le 2 septembre 2020, un soupçon de blanchiment d’argent concernant des chaînes de télévision en Tunisie. Une information on ne peut plus grave qui mettrait en exergue ce qui semblerait être une réalité du paysage audio-visuel tunisien.
Car, la rumeur enfle dans notre pays au sujet du financement on ne peut plus illégal et occulte de certains médias –les télévisons ne seraient qu’un faisceau du spectre médiatique- par des partis politiques et d’autres composantes dont des hommes d’influence et des lobbys en général.
Difficile de croire que le ministre d’État, ministre auprès du chef du gouvernement chargé de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption dans (l’ancien) gouvernement d’Elyès Fakhfakh, puisse parler sans qu’il ait émis au moins quelques débuts de preuves. C’est du moins l’impression qu’il a donné, le 2 septembre 2020, en faisant feu de tout bois pour prouver l’engagement de son département dans la lutte contre la corruption ! Pourquoi aurait-il sinon cette question ?
Quoi qu’il en soit, des observateurs évoquent depuis quelques temps déjà des irrégularités concernant le fonctionnement des médias tunisiens. Affirmant que certains d’entre eux semblent s’être mis au service d’agendas politiques. Ce qui sous-entend que cette mise au service ne s’est pas faite sans contrepartie.
Evidemment, une fine analyse de contenu, s’étalant sur une longue période et utilisant des outils scientifiques, montrerait que certains médias ont, pour reprendre une formule chère aux chercheurs américains des médias Maxwell McCombs et Donald Shaw, un « agenda setting » : une théorie qui « décrit la manière dont les médias tentent d’influencer les téléspectateurs et d’établir une hiérarchie de prévalence de l’actualité ».
La situation a même empiré
Mais qui en est responsable ? Car, tout est là pour prouver que les différents gouvernements qui se sont succédé, dont les deux dans lesquels Mohamed Abbou a siégé, sont pour beaucoup responsables de la situation que notre ministre d’Etat a décrite le 2 septembre 2020 dans sa conférence de presse.
Force est de constater, à ce niveau, qu’aucun des gouvernements n’a voulu prendre, du moins sérieusement, pour ainsi dire, le taureau par les cornes pour réformer un secteur- celui des médias- que l’on a longtemps présenté à raison comme étant longtemps structuré avant 2011 pour service une pensée unique.
Bien plus, et cela peut étonner et évidement fâcher, la situation s’est, par certains côtés, même dégradée –eh oui- par rapport au vécu sous les régimes d’aussi bien Habib Bourguiba ou que de Zine El Abidine Ben Ali. On ne cessera de le dire : la disparition du ministère de l’Information (qui existe bel et bien dans des démocraties, comme en France et en Grande-Bretagne) et l’aide de l’Etat à la presse écrite en sont un exemple évident.
Allez poser la question aux patrons des médias, ils vous diront comment le fait d’avoir gommé le ministère de l’information, qui a longtemps constitué pour eux quoi qu’on dise un interlocuteur, comme celle d’avoir mis fin pour l’essentiel à l’aide de l’Etat à la presse (surtout la fin des abonnements et le dérèglement de la publicité publics) ont compliqué leur fragilité financière.
Pourtant un aussi long vécu (dix ans ; dans moins de quatre mois, nous fêterons la première décennie de la révolution du 14 janvier 2011) aurait pu favoriser la mise en place d’un système cohérent et efficace instaurant une information plurielle et pérenne qui assure aux médias une vie plus confortable que celle qu’ils vivent aujourd’hui.
Une volonté politique qui manque à l’appel
Cela d’autant plus que le diagnostic a été fait. Seule la volonté politique et sans doute une certaine conscience quant à l’importance de la mise en place de ce système, qui se trouve à la base du socle démocratique, manquent encore à l’appel.
Car, les décideurs pouvaient comprendre qu’il fallait agir dans deux directions. La première consiste à structurer le marché de la presse de manière à lui assurer une réelle immunité par un dispositif juridique et opérationnel digne d’une démocratie : des pans entiers de l’activité médias comme la publicité ou encore la mesure d’audience pour l’audiovisuel mais aussi pour la presse écrite et digitale ne sont pas assez encadrés par des textes ; des textes vétustes ou incomplets lorsqu’ils ne sont pas inexistants. Mais également par la création de structures qui régulent la totalité du marché (comme une Commission paritaire des publications ou une autorité de régulation de la publicité).
Sans oublier la nécessité de revoir et de corriger des textes existants comme celui ayant créé la Haute Autorité Indépendante de l’Audiovisuel (HAICA), qui constitue somme toute une avancée, et de mettre en place des dispositifs de gestion moderne comme la médiation, l’innovation et la qualité. Faut-il insister sur le fait que nous attendons toujours une loi sur l’audiovisuel et un texte qui apporte les éclairages juridiques de l’Instance de la communication audiovisuelle ?
La seconde consiste, pour sa part, à mettre en place un dispositif d’aides à la presse présent dans toutes les démocraties. Nous le répéterons pas assez, là aussi, cette aide n’est pas une faveur. Mais une mesure pour asseoir une société plurielle. L’article 31 de la constitution de janvier 2014 écrit noir sur blanc que l’Etat est le garant des « libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication sont garanties ».
Et inutile de préciser que les réformes ne peuvent qu’asseoir des règles de jeu transparentes et proactives afin de que les médias –excusez du terme- ne tendent pas la main facilement au premier venu pour servir en définitive d’autres causes que celle de l’information et du lecteur. Et ne soit pas –le moins qu’on puisse dire- d’une manière aussi incommodante un centre des enjeux politiques et autres d’une société.
Il faudrait cependant terminer peut-être ces quelques lignes en formant l’espoir que le nouveau Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, qui a reçu des représentants des médias, lors de ses consultations pour la constitution de son gouvernement, ait sa petite idée pour renverser la vapeur.