Une crise politique, économique, sociale, morale, une crise profonde, qui dure et qui ne cesse de s’étendre. Et une crise reconnue de tous, citoyens, entreprises et pouvoirs publics.
En effet, de nombreux diagnostics ont été réalisés, de multiples solutions esquissées, plusieurs traitements mis en oeuvre. Malgré cela, la situation se dégrade de semaine en semaine. Générant un sentiment diffus d’impuissance et de résignation; tant la tâche paraît insurmontable. Pourtant, les solutions existent, la solution existe. Trois axes majeurs nous conduiront à la sortie de crise.
D’abord, finaliser le diagnostic de la situation actuelle et affiner le plan de sortie de crise.
Ensuite, le mettre en oeuvre, avec courage et détermination.
Enfin, lancer progressivement la réflexion, puis la mise en place d’un plan d’avenir pour la Tunisie.
Finaliser le diagnostic et affiner le plan de sortie de crise
Ainsi, il peut paraître surprenant d’évoquer la nécessité de revenir sur le diagnostic, pour le revoir une fois de plus et le finaliser. L’une des raisons à cela est que la dimension financière du diagnostic réalisé semble l’emporter sur les nombreuses autres considérations.
Or, le diagnostic doit également porter sur la qualité des services publics. Que ce soit ceux de l’administration centrale, de l’éducation que de la santé; et ce, sur l’adéquation du niveau du salaire minimum en vigueur en Tunisie par rapport au coût de la vie. Ou encore sur la présence de l’Etat actionnaire et gestionnaire dans de nombreux secteurs économiques concurrentiels.
Plusieurs plans de sortie de crise ont été présentés au cours des dernières années. Le dernier date de juin 2020, sous forme de plan de sauvetage. Déjà en 2018, le Conseil d’Analyses Economiques avait publié un plan de relance sous forme de 100 mesures, dont la plupart restent (malheureusement, car non mises en oeuvre) d’actualité.
Afin d’accroître les chances de succès dans la mise en oeuvre du plan de sortie de crise, trois dimensions doivent être prises en compte.
Tout d’abord, le plan doit être exhaustif et détaillé. Dans sa conception, il doit aboutir à une solution complète, qui permette de rétablir l’équilibre des finances publiques; tout en apportant une réponse aux autres dimensions du diagnostic. Se focaliser quasi-exclusivement sur l’équilibre des finances publiques est loin d’être suffisant.
« Plusieurs plans de sortie de crise ont été présentés au cours des dernières années […] dont la plupart restent d’actualité »
Ensuite, il doit être partagé avec les parties prenantes; et ce, dans le cadre d’un dialogue constructif, franc et responsable. Ce dialogue doit bien entendu impliquer les partenaires sociaux, représentants des salariés et des entreprises. Il doit s’étendre à l’Assemblée des Représentants du Peuple. Et notamment à certaines de ses commissions sectorielles et à la Commission des finances. Il doit également être à l’écoute des think tanks et autres organisations de la société civile.
En outre, ce dialogue doit être mené avec célérité et de façon dynamique. Afin qu’il soit plus porté sur l’écoute active que sur le formalisme de grandes messes. Car elles mettent plus en avant leurs participants que de véritables solutions.
Enfin, il doit être accompagné d’un plan de communication qui vise à informer, en toute transparence, mais également à rassurer. Le plan de sortie de crise impactera chaque citoyen et chaque entreprise. Il est donc indispensable qu’un effort d’explication soit déployé afin de donner du sens à la démarche de sauvetage du pays à laquelle chacun doit contribuer.
Mettre en oeuvre le plan de sortie de crise avec courage et détermination
Un gouvernement ne doit pas avoir pour caractéristique principale de plaire ou de faire plaisir. On attend de lui de mener le pays à bon port et de rassurer. C’est ce que l’on attend également d’un commandant de bord d’un avion ou d’un capitaine de navire.
La mise en oeuvre effective du plan de sortie de crise se heurtera à de nombreuses résistances.
Premièrement, celle, légitime, de celles et ceux qui perdront leur emploi ou leur source de revenus, du fait de la crise économique en cours, et qui pourrait être accentuée par les effets du plan de relance. Même s’il n’existe pas en Tunisie d’assurance-chômage, des mécanismes devront être envisagés; afin de limiter l’impact financier sur les populations touchées.
« Un gouvernement ne doit pas avoir pour caractéristique principale de plaire ou de faire plaisir »
Deuxièmement, la résistance, bien moins légitime, des lobbys (terme à appréhender dans son sens le plus large), qu’ils soient structurés ou non. Car il ne faut pas se voiler la face: si de nombreuses réformes n’aboutissent pas en Tunisie, ce n’est pas par incompétence ou manque de volonté. Mais parfois par résistance de certains acteurs qui savent mobiliser les mécanismes qui font capoter les meilleures transformations.
Finalement, du courage et de la détermination il en faudra pour mettre le holà à des situations qui ont franchi le seuil de l’acceptable. Il en va ainsi des blocages dans les secteurs phosphatiers et pétroliers. Il en va de même de la situation de propreté de nos villes, expression la plus parfaite d’un laisser-aller incompatible avec l’esprit même d’un plan de mobilisation et de sortie de crise. Le maintien de certaines entreprises publiques dans un état semi-comateux n’est également plus admissible.
Concevoir et mettre en place un plan d’avenir pour la Tunisie
Un traitement de choc n’est accepté que s’il y a une assurance raisonnable qui permettra d’aboutir à un avenir prometteur. Il est donc crucial que, peu de temps après le lancement du plan de sortie de crise, une mobilisation générale se fasse pour définir un plan d’avenir pour la Tunisie.
Beaucoup pensent que celui-ci est déjà défini dans ses grandes lignes. Pour certains, il s’appuie sur un secteur public maintenu grâce à une promesse d’efficience de celui-ci. Pour d’autres, le modèle libéral s’impose.
« Un traitement de choc n’est accepté que s’il y a une assurance raisonnable qui permettra d’aboutir à un avenir prometteur »
Or, la réalité est bien plus complexe, car de nombreuses questions nouvelles ou moins nouvelles se posent, auxquelles il faudra répondre dans leurs multiples dimensions. Le travail est une de ses questions:
Y en aura-t-il pour tout le monde? Suffira-t-il de le vouloir pour trouver un travail? La qualification des jeunes répond-elle aux besoins du marché du travail de demain? Le rapport à l’Etat en est une autre: l’Etat central qui gère le pays depuis la dynastie hafside a-t-il vécu? La décentralisation inscrite dans la Constitution de 2014 est-elle une réponse à la nécessaire modernité de l’Etat? Autre question: le niveau des inégalités sociales et régionales, qui va en se creusant, est-il une fatalité? Est-ce une résultante du modèle socio-économique choisi (ou imposé) ou doit-il être combattu?
La définition du plan d’avenir pour la Tunisie sera un travail de longue haleine. Il est à notre sens une condition sine qua non de la sortie de crise. Car sans espoir d’une vie meilleure, il paraît difficile de convaincre que les inévitables sacrifices valent la peine d’être vécus.