Selon les observateurs, la « mutation » du diplomate Kaïs Kabtani, Représentant permanent de la Tunisie auprès de l’ONU, cache un limogeage; mais sans les règles de l’art. Elle est à l’image de l’actuelle diplomatie tunisienne: cacophonie et désordre!
« Nul n’est prophète en son pays ». Ainsi, le jour même où le diplomate Kaïs Kabtani, Représentant permanent de la Tunisie auprès de l’ONU, annonce sa décision spectaculaire de quitter la diplomatie; son collègue Nicolas de Rivière, ambassadeur de France à l’ONU, lui rend un vibrant hommage.
« Alors que la Covid-19 continue de se propager, nous appelons à un sursaut collectif pour la mise en œuvre de la résolution 2532. Pour une cessation des hostilités et une pause humanitaire. Hommage à Kaïs Kabtani dont le très grand talent a permis l’adoption de la résolution». Tel est le tweet du diplomate français.
Talent et savoir-faire
En effet, notons que la résolution 2532 proposée conjointement par la Tunisie et la France était adoptée le 1er juillet 2020. Et ce, par l’ensemble des 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Il aura fallu trois mois d’âpres négociations menées par Kais Kabtani et son homologue français pour aboutir à l’adoption de cette résolution; la première jamais adoptée à l’ONU à l’initiative de la Tunisie depuis son indépendance. C’est dire le talent et le doigté du diplomate tunisien!
Alors comment expliquer le limogeage du Représentant de la Tunisie aux Nations Unies de son poste, après seulement cinq mois de sa prise de fonctions? Et que dire de la disgrâce du diplomate Moncef Baati, rappelé alors qu’il était à la retraite. Et limogé brutalement lui aussi après cinq mois de sa prise de fonctions à New York? Sachant que la Tunisie entamait en janvier 2020 son mandat de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Et ce, pour une durée de deux ans.
Méconnaissance des relations internationales
Alors, interrogé hier par notre site leconomistemaghrebin.com sur cette triste affaire, Elyes Kasri, fin connaisseur de la diplomatie tunisienne et ancien ambassadeur au Japon, en Allemagne et à Séoul nous a livré une lumineuse explication. « La présence de la Tunisie au Conseil de sécurité en tant que membre non-permanent a mis à nu la grande méconnaissance du Président Kaïs Saïed et de son entourage des relations internationales ».
Et de pointer du doigt « l’incapacité́ de la diplomatie tunisienne à faire face aux tiraillements et pressions contradictoires auxquels se trouve soumise la Tunisie. Et ce, dans une phase d’instabilité́ politique intérieure. Ajoutons à cela la multiplicité́ des décideurs ou prétendus comme tels dans les relations internationales ».
« Sans oublier que la tournure des événements en Libye rapproche la Tunisie de l’œil du cyclone qui se profile à l’horizon. Avec une Turquie expansionniste et des pays riverains des deux rives de la Méditerranée qui se mobilisent pour calmer les ardeurs islamo-ottomanes de l’axe Turquie- Qatar », déclare-t-il à notre collègue Nadia Dejoui.
« Je n’ai plus confiance en Kaïs Saïed »
En outre, rappelons que contrairement aux us et coutumes diplomatiques, Kaïs Kabtani vient d’indiquer à l’AFP avoir décidé de quitter la diplomatie. « Je quitte la diplomatie tunisienne, c’est une question d’honneur et de principe ». En précisant avoir appris, la veille, par les réseaux sociaux son éviction de son poste à l’ONU.
D’ailleurs, « ce double limogeage par le pouvoir tunisien est très mauvais pour l’image de mon pays », déplore-t-il. Tout en mettant en cause l’entourage du Président de la République qu’il accuse d’avoir provoqué son éviction.
Et de poursuivre solennel: « Je n’ai plus confiance en le président de la République, Kaïs Saïed. J’ai fait mon devoir, je me suis investi à fond avec une toute petite équipe diplomatique à New York. Et cela me désole pour la Tunisie ». Ainsi conclut le diplomate, sans cacher sa profonde amertume.
Cacophonie
Alors, que dire de cette cacophonie au plus haut niveau de la diplomatie tunisienne? De ce ballet incessant de limogeages et de révocations sans tact et sans explication aucune. Et ce, à l’instar du limogeage humiliant de l’expérimenté Khemaïs Jhinaoui ou de Noureddine Erray qui n’a même pas fait un an de service? Et comment expliquer que quatorze ambassades sont vacantes depuis des mois? Du jamais vu dans la longue histoire de la diplomatie tunisienne incarnée en son temps par feu Mongi Slim.
Il y a péril en la demeure. Et votre responsabilité est engagée Monsieur le Président. C’est le moins qu’on puisse dire…