Les mille feuilles d’une vie est une œuvre poignante. Un récit autobiographique d’un itinéraire dont chacun trouvera un bout d’espoir et un message positif ; car tout est possible. Kamel Akrout est un ancien Conseiller principal à la sécurité nationale auprès du président de la République. Il décrit dans ce livre des séquences souvent anecdotiques de son enfance et de sa jeunesse à Haouaria témoignant d’une force de caractère extraordinaire, forgé par le vécu quotidien. Interview :
L’Economiste Maghrebin: A travers votre livre “Les mille feuilles d’une vie”, quel est le message que vous voulez transmettre?
Kamel Akrout: L’idée du livre m’a effleuré quand je faisais à titre personnel de la sensibilisation contre l’extrémisme. J’ai rencontré des jeunes aussi bien dans les écoles que dans les collèges et les lycées. Et ce, afin d’organiser une campagne de sensibilisation sur plusieurs thématiques : la radicalisation, le terrorisme, la délinquance, la migration clandestine et bien d’autres… Cette initiative avait pour objectif de discuter avec les jeunes et de parler de leurs problèmes et surtout de trouver avec eux des solutions et en somme leur donner de l’espoir.
C’est ainsi que j’ai pensé à écrire ce récit autobiographique en espérant qu’il les inspire, et leur fournit de l’espoir ! Si j’ai écrit ce livre, c’est parce que je me suis retrouvé en ces jeunes. Et ce, pour avoir vécu dans le besoin comme beaucoup d’entre eux, et donc des conditions difficiles. En ces temps, on manquait de presque tout. Et chaque jour on menait une lutte pour obtenir les choses les plus élémentaires et les plus nécessaires.
De nos jours, il est important de communiquer avec les jeunes, discuter avec eux essayer de leur montrer la bonne voie et les bons choix. Les convaincre de s’accrocher à leurs objectifs, de batailler et de tenir bon pour y arriver. Enfin dans ce livre je n’essaie pas de m’ériger en exemple mais plutôt être une source d’inspiration.
A travers les discussions avec les jeunes, quels sont leurs ressentis ? Vous les approuvez ou les réprouvez? Et finalement, est-ce que vous les comprenez?
Tout d’abord, je crois me reconnaître dans chacun d’entre eux. En fait, je ne cherche pas à approuver ni réprouver leur façon de voir les choses. Toutefois j’essaie de trouver une explication à la question du « pourquoi vouloir étudier alors qu’il n’y a pas d’avenir ? ». Je cherche à leur dire qu’ils ont tort et que la violence, la délinquance et le terrorisme ne sont pas la solution. Toutefois les études servent plus à former les esprits et que la reconversion est toujours possible. Il suffit de s’accommoder et de s’adapter au monde du travail ! D’ailleurs, les centres de formation existent pour cela. L’essentiel est de ne pas s’arrêter devant le moindre obstacle. D’un autre côté il ne faut pas tout attendre de l’Etat, il faut compter sur soi. On peut opter pour le travail bénévole rien que pour acquérir une expérience. Cependant, si j’ai un reproche à faire, c’est à l’encontre de l’Etat qui n’a pas su reclasser ses jeunes.
Est-il logique que les choix des orientations d’après l’obtention du baccalauréat n’ont pas changé depuis des années, alors que chaque jour des métiers apparaissent et d’autres disparaissent. Et c’est l’une des raisons pour laquelle il faut instaurer une veille sur le marché du travail et opter pour des formations à la carte. Ce qui offre l’opportunité de découvrir de nouveaux horizons. D’ailleurs plusieurs modèles de formation à la carte furent des success stories. A titre d’exemple les Philippines ont instauré un modèle « offre-demande » à l’internationalisation des travailleurs philippins, c’est ainsi qu’ils sont devenus les meilleurs et les plus recherchés à l’échelle mondiale, dans le secteur du paramédical, de l’hôtellerie et dans la marine marchande. C’est possible de le faire en Tunisie et cela ne demande pas grand-chose. Or, c’est en montrant aux jeunes la voie du monde du travail qu’ils peuvent aller de l’avant. En évitant d’emprunter l’autre chemin, celui de la migration clandestine et de se retrouver face à la mort. Et c’est aussi la raison pour laquelle il faut instaurer la culture du travail. Je parle de nous tous, école, société civile, institutions privées et publiques. Et je le répète encore une fois, il faut donner de l’espoir aux jeunes, aller vers eux non en donneur de leçons mais pour leur parler sans les juger, leur donner des idées, discuter avec eux et les valoriser. Ils sont plus réceptifs qu’on ne le pense !
Une autre question où est passée cette culture du travail et comment l’instaurer ?
A mon avis, l’Etat doit jouer son rôle et trouver des solutions et les solutions existent en commençant par le bénévolat aux écoles et en allant jusqu’au service militaire obligatoire même pour les étudiants. A ce propos les expériences du passé ont été très bénéfiques.
Croyez-vous que le pays est « ingouvernable » actuellement?
Pour gouverner il faut appliquer la loi. Le pays a besoin d’ordre, de discipline et de dirigeants qui n’hésitent pas à mettre, quel que soit le prix, l’intérêt national devant n’importe quels autres intérêts. Un mandat de cinq ans ça passe si vite, chaque seconde compte si on veut avancer et ne pas rater les opportunités qui s’offrent à nous. Et pour avancer il n’y a plus de temps pour l’amateurisme.
A cet égard, et à titre d’exemple je ne comprends pas la passivité de l’Etat devant l’insécurité, devant le vandalisme, le banditisme et « l’ensauvagement » du citoyen ? Je n’arrive pas à comprendre la passivité de l’Etat devant ceux qui ont fermé les vannes de pétrole et bloqué la production de phosphate ? Ne s’agit-il pas de problèmes de sécurité nationale ? Ce sont ces questions que l’Etat doit se poser ? Quel investisseur viendrait investir chez nous en voyant cet état des choses ?
N’est-il pas possible de relancer la production de phosphate en déclarant les sites de production comme des zones militaires où personne non autorisée ne peut entrer ? Je crois fermement au principe du droit mais aussi du devoir et du respect de la loi.
A mon avis si un responsable ne fait pas son travail correctement, il doit laisser la place à d’autres plus compétents. Et c’est le rôle de l’Etat de désigner les personnes idoines mais aussi de donner des directives claires sans ambiguïté et loin de tout calcul politique et populiste. Aujourd’hui, ce n’est pas une question de régime politique. Il suffit juste d’appliquer la loi et cela ne demande que courage, rigueur et audace. Ce sont des responsables ayant ces qualités que le citoyen souhaite voir.
Ne voyez-vous pas que la Constitution de 2014 a montré ses limites?
Le problème essentiel n’est pas la Constitution, il réside dans les incompétences qui se trouvent dans des postes de décision et dans ceux qui utilisent le pouvoir pour se servir et non servir le citoyen. Le système politique actuel certes nécessite beaucoup d’ajustements, mais ce n’est pas une raison d’en rester juste au constat et ne pas procéder aux amendements nécessaires ? Ceci dit, le pays doit avancer avec ou sans ces amendements. Nous sommes condamnés à avancer dans la bonne direction.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, y a-t-il un lien entre la migration clandestine et la fuite des cerveaux?
L’image de ces jeunes Tunisiens à Lampedusa refusant l’idée de revenir au pays et les slogans qu’ils brandissent nous a tous choqués. Je considère cela comme le cri de révolte d’une jeunesse marginalisée. C’est l’aveu de l’échec des dix dernières années et c’est la marque du naufrage des politiques d’État. Le même sentiment est perceptible aussi chez ceux qui quittent légalement le pays, tous veulent partir car ils n’attendent plus rien de leur pays. L’ascenseur social s’est grippé ; le pays ne semble plus en mesure de leur offrir la place qu’ils méritent d’occuper. A mesure que s’obscurcit l’horizon, partir est devenu l’unique ambition. Partir par tous les moyens est devenu le seul horizon d’une jeunesse à laquelle le pays a tourné le dos.
D’autre part, personne ne peut arrêter l’émigration, zéro migration n’existe pas, elle est un phénomène naturel depuis la nuit des temps. Les solutions pour la réglementer existent, encore fallait-il savoir « vendre » ses compétences. Il faut trouver des solutions avec les pays de destination sur la base du gagnant-gagnant et faire de l’émigration une opportunité et un facteur de développement.
A ce propos il ne faut pas laisser aussi notre diaspora livrée à elle-même. Nous devrions capitaliser sur cette diaspora, en la faisant participer au développement du pays et en lui proposant des faveurs pour investir dans le pays.
Notre pays regorge de compétences qui se trouvent être des sommités internationales dans plusieurs domaines. Le pays en a cruellement besoin. Nous avons des sommités internationales que ce soit aux États-Unis, au Canada ou ailleurs, je connais beaucoup d’entre-eux qui n’attendent qu’un signal positif de leur pays de nature à leur faciliter la tâche pour venir aider, former et investir.