L’état de santé de Donald Trump suscite de nombreuses interrogations.
En effet, à un mois du scrutin présidentiel, le président sortant a été hospitalisé; et ce, après avoir révélé avoir été testé positif à la Covid-19. Une information qui bouleverse la campagne présidentielle. Elle relance le débat sur la transparence sur l’état de santé des chefs d’Etat. Une question particulièrement sensible en Tunisie.
Un droit de savoir légitime
Alors, les citoyens ont-ils le droit de connaitre l’état de santé de leur chef d’Etat ? Celle-ci relève-t-elle de la vie publique ou de la vie privée ? Il n’y a pas ici de réponse universelle ou absolue.
D’un côté, la santé d’une personne ne saurait en fait être une question publique, comme le prouve le droit au secret médical. De l’autre, les citoyens peuvent légitimement invoquer la transparence. Pour être informés de la capacité de leur gouvernant à gouverner.
Ainsi, le droit de chaque pays n’est pas forcément clairement établi en la matière. Les pratiques, elles, demeurent bien différentes. Pourtant, l’enjeu politique et institutionnel est réel. Comme l’atteste l’histoire contemporaine de la Tunisie.
Puisque le 7 novembre 1987, après de longs mois de rumeurs sur sa santé déclinante, Habib Bourguiba est destitué. Comment? A la suite de la publication d’un certificat médical signé par sept professeurs de médecine. Et ce, sur ordre du Premier ministre de l’époque, Zine el-Abidine Ben Ali. Un véritable « putsch médical » qui est entré dans les annales de la vie politique internationale.
Par la suite, le premier président élu démocratiquement au suffrage universel après l’adoption de la Constitution de 2014, Béji Caïd Essebsi entrait en fonction à l’âgé de 88 ans. Un mandat qui a progressivement été rythmé par des rumeurs sur son état de santé. Jusqu’à sa mort intervenue avant la fin de son mandat.
« Les citoyens ont-ils droit de connaitre l’état de santé de leur chef d’Etat ? Celle-ci relève-t-elle de la vie publique ou de la vie privée ? Il n’y a pas ici de réponse universelle ou absolue »
En France, l’état de santé du président François Mitterrand a fait l’objet d’un procès devant les tribunaux français après son décès (« affaire Gubler »). Son médecin personnel avait publié un livre intitulé « Le grand secret ». Livre dans lequel il affirmait que l’intéressé savait être malade d’un cancer dès son élection en 1981. Les juges, sans se prononcer sur la question de savoir si l’état de santé relevait de la vie privée des individus, se sont interrogés sur la question de savoir si la publication de ce livre portait atteinte à la violation du secret médical.
Car, le droit de connaître l’état de santé des responsables politiques est particulièrement légitime. Dès lors qu’il s’agit de déterminer l’aptitude physique et/ou mentale à présider ou à gouverner aux destinées d’un pays.
Sur ce point, les droits nationaux sont plus prolixes. Ils prévoient souvent un dispositif juridique pour ce type d’hypothèse. Ainsi, selon l’article 84 de la Constitution tunisienne, « en cas de vacance provisoire de la fonction de président de la République pour des motifs qui rendent impossible la délégation de ses pouvoirs, la Cour constitutionnelle se réunit sans délai. Elle constate la vacance provisoire, le chef du gouvernement remplace le président de la République ».
En revanche, en cas de « décès ou d’incapacité permanente ou pour tout autre motif de vacance définitive, la Cour constitutionnelle se réunit sans délai. Elle constate la vacance définitive et en informe le président de l’Assemblée des représentants du peuple, qui est sans délai investi des fonctions de président de la République par intérim, pour une période de quarante-cinq jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus ».
Attention aux abus de transparence
Cependant, l’érosion de la distinction entre vie privée et vie publique dans la sphère politique se confirme. Or de même que le censeur de la République romaine n’avait pas vocation à assurer la police des mœurs. La promotion des exigences éthiques et déontologiques ne doit pas dériver vers une « quête absolutiste de transparence, peu soucieuse de la vie privée des acteurs publics ».
De plus, la montée en puissance de la transparence, érigée en valeur suprême de la République morale, participe à l’altération contemporaine de la frontière entre espaces, fonctions, secteurs, intérêts publics et privés.
Preuve de la désacralisation du politique, le patrimoine, mais aussi la santé et la vie sentimentale quittent progressivement le domaine de l’intime pour faire partie de la vie publique.
D’ailleurs, la protection du secret (défense, professionnel, bancaire, etc.) par le droit recule face à la montée de l’exigence de transparence dans la société démocratique moderne. Or, non seulement le pouvoir ne peut pas fonctionner sans une part de secret – inhérente à sa part de sacralité –; mais l’exigence dogmatique de « transparence » risque de se retourner in fine contre la démocratie.
La « République exemplaire » – car vertueuse – ne signifie pas une « démocratie paparazzi ». Avec ses dérives suspicieuses, intrusives et voyeuristes. Et la suppression de tout secret, de tous les secrets, qu’ils soient d’intérêt public ou d’intérêt privé.
Une République exemplaire ne saurait reposer sur une « transparence despotique » qui ferait de la République démocratique l’otage de deux spectres. A savoir: celui d’un gouvernement des juges et celui d’un « populisme dégagiste ». Les deux pouvant très bien se conjuguer.
En témoigne le cas de l’Italie, où l’opération « mains propres » a propulsé Silvio Berlusconi sur le devant de la scène politique nationale durant plus de vingt ans.
Si aujourd’hui la forme de gouvernement républicaine fait consensus. Cependant, des forces radicales populistes se nourrissent des scandales à répétition. Et ce, pour appeler à faire table rase du système politique et institutionnel.