Diffuser une adresse à 21 heures passées. Est-ce un bon choix? La réponse est non. Car, la communication est aussi une affaire de contextes. Dont celui du temps de diffusion qui influence lourdement l’échange qui se développe à l’occasion d’une situation de communication. Et ce n’est pas une réflexion d’intellectuel. Mais un constat établi chaque jour par les professionnels. Analyse.
Car, le malheur dans notre pays est que l’on est souvent obligé d’expliquer des évidences. Ainsi en est-il par exemple de la diffusion dans la soirée du 3 octobre 2020 d’une allocution du chef du gouvernement. Elle portait sur les mesures pour stopper la propagation du coronavirus.
« Elémentaire mon cher Watson », aurait certainement dit devant une telle situation Sherlock Holmes, auquel cette expression est empruntée. L’expression ou plus exactement–faut-il le rappeler- est la réplique signifiant « c’est bien vrai, c’est évident, cela va sans dire ». Elle était faite par le détective Sherlock Holmes au Docteur Watson qui s’extasiait, sans se lasser, des déductions et trouvailles du détective.
Alors élémentaire de dire que le moment était on ne peut plus mal choisi. Ouvrons, ici, une parenthèse avant d’aller plus loin pour dire que la communication dépend d’un ensemble de contextes. Dont celui du temps qui influence lourdement l’échange qui se développe à l’occasion d’une situation de communication.
D’où cette question essentielle: peut-on parler d’un horaire favorable à une bonne communication? Lorsqu’on parle aux Tunisiens une fois la nuit tombée, à 21 heures passées? Ne sait-on pas que l’on rate pratiquement le coche pour une partie des Tunisiens qui est déjà au lit ou qui a la tête ailleurs?
Des décisions arrêtées en matinée
Ainsi, la question mérite d’autant plus d’être posée que cela n’est pas la première fois que la communication gouvernementale tombe dans ce travers. Nombre de décisions importantes ont été annoncées jusqu’à tard dans la soirée. Citons à titre d’exemple la constitution du gouvernement Mechichi diffusée à minuit!
Et les médias ont beau attirer l’attention sur cette erreur de communication. Laquelle n’est pas sans rappeler ce que notre confrère et professeur de journalisme, Salaheddine Dridi, appelle « l’analphabétisme communicationnel »; cependant rien n’y fait.
Pourquoi donc programmer une annonce à une heure tardive? Alors que l’on a les moyens de le faire bien plus tôt? Avant d’aller encore, ici, plus loin affirmons que les services de la Présidence du gouvernement avaient toute la possibilité de diffuser l’allocution du chef du gouvernement l’après-midi ou en début de soirée.
En effet, les décisions annoncées avaient été arrêtées au cours d’un Conseil ministériel restreint organisé –la dépêche de l’Agence TAP nous le dit- au cours de « la matinée » du 3 octobre 2020.
Alors, qu’est-ce qui expliquerait tout ce retard? Ecrire une allocution de quelques lignes ou en informer le chef de l’Etat demande-t-il autant de temps et de réflexion et de préparation Difficile de s’y faire.
Rater le coche
Mais, la plus grande erreur n’est pas là. Tous les communicateurs savent que les timings de diffusion sont extrêmement importants. Et ce, si l’on veut donner à l’information une réelle chance d’être largement relayée.
Or, l’expérience nous enseigne qu’il ne faut pas dépasser 20 heures. Soit l’heure à laquelle dans pratiquement tous les pays du monde est diffusé le plus important rendez-vous médiatique dans un pays. A savoir: le journal télévisé.
Pourquoi? Parce qu’au-delà, on rate, pour ainsi dire, l’occasion de bien communiquer une décision. C’est méconnaître le temps journalistique que d’agir autrement. L’idéal serait même de programmer une diffusion de l’allocution même avant.
Et cela pour permettre à la télévision de rendre compte de l’adresse du chef du gouvernement. Mais aussi de la mettre en perspective et de l’expliquer au public. En faisant souvent appel à des spécialistes, comme des chroniqueurs.
Techniques médiatiques et timing communicationnel
Dans le même ordre d’idées, une diffusion aussi tardive, comme cela fut le cas le samedi 3 octobre 2020, n’offre pas aux quotidiens les moyens de faire le travail d’explication et de commentaire de l’information. Mais tout juste le temps de présenter l’information dans sa forme, pour ainsi dire, la plus brute possible.
Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un regard à la place accordée à l’adresse du chef du gouvernement par la plupart des quotidiens. Car, pour des raisons de tirage et de distribution des exemplaires, ils étaient obligés de boucler leurs pages relativement tôt; vers 20 heures 30.
Et dans cette affaire, la présidence du gouvernement a évidemment beaucoup plus à perdre qu’à gagner. Effectivement, lorsqu’on renvoie le traitement d’une information au lendemain; celle-ci n’a plus le même attrait. Un des pères du journalisme, Philippe Gaillard, enseignait pendant des années à ses étudiants en journalisme que le « premier critère de choix d’une nouvelle par les lecteurs est l’actualité ». (Voir à ce propos, Philippe Gaillard, Les techniques de journalisme, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je?, 1996, pages 29 à 32).
Très vite, les faits d’actualité sont du reste toujours rattrapés par d’autres beaucoup plus récents qui les relèguent au second plan. Et ce n’est pas là une réflexion d’intellectuel. Mais un constat. Que font chaque jour les professionnels.
Elémentaire, mon cher Watson!