La violence politique au sein du Parlement s’accroît de jour en jour. Cela dit, même si la loi relative à l’élimination des violences faites aux femmes a été adoptée en 2018, cela n’empêche que les violences quelles qu’elles soient sont en hausse. L’incident de vendredi dernier relatif à l’agression verbale de Seifeddine Makhlouf envers Abir Moussi en est la preuve. Comment l’expliquer?
Jinan Limam, enseignante universitaire à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, dresse un état des lieux dans une déclaration à leconomistemaghrebin.com. Elle souligne dans ce contexte: « En réalité, la violence politique ne cesse de s’accroître depuis plusieurs années en Tunisie, mais elle s’est accentuée depuis l’élection législative de 2019 avec l’approfondissement des fractures politiques et en l’absence de débat politique de fond. En effet, la victoire de courants politiques réactionnaires qui revendiquent de façon décomplexée leur radicalité et qui sont pour l’élimination physique de leurs adversaires ont largement contribué à l’ensauvagement de la vie politique en Tunisie, que chacun peut déjà le mesurer au sein du Parlement ou sur les réseaux sociaux, l’autre lieu du combat politique et le terreau favori de l’extrémisme et du discours de haine. »
Beaucoup de femmes en politique ont été ciblées
Et de poursuivre: « Dans ce climat politique de plus en plus violent et décadent, on voit bien que s’émerge une haine spécifique envers les femmes politiques quelle que soit leur appartenance politique. Beaucoup de femmes en politique ont été ciblées par cette violence en raison de leur genre. Récemment c’était le tour de Bochra Bel haj Hamida et Abir Moussi. Dans les deux cas, la violence a été perpétrée par des députés. »
Avant d’ajouter: » Là, sur des réseaux sociaux, au détour de vidéos tournées au sein même du Parlement, c’est un tsunami de violence verbale, de remarques sexistes et misogynes, d’images humiliantes, d’intimidation et de menaces. Ce cycle de la violence remonte à une culture politique et sociale qui discrimine les femmes en général, notamment celles qui sont actives dans la vie publique et politique. Les stéréotypes sexués persistants sont en effet un moteur puissant de violence contre les femmes en politique. »
Selon Jinan Limam, cette violence vise à décourager les femmes d’être actives en politique et à créer une atmosphère hostile qui décourage les femmes de l’engagement politique. Et de poursuivre: « Des contextes qui tolèrent la misogynie dans les espaces publics et politiques, promus par des dirigeants politiques conservateurs, peuvent stimuler la violence contre les femmes en politique comme un moyen de préserver le statu quo des processus et institutions politiques dominés par les hommes. »
Qu’en est-il sur le plan législatif?
A cette interrogation, elle a répondu: « Conformément à l’article 46 de la Constitution, l’État prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence contre la femme. Depuis 2017, on dispose en Tunisie d’un arsenal juridique pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, selon une approche globale basée sur la lutte contre les différentes formes de violence, à travers la prévention, la poursuite et la répression des auteurs de ces violences, et la protection et la prise en charge des victimes. »
Et de poursuivre: « Outre la violence physique, morale, sexuelle et économique, la loi de 2017 traite de la violence politique qu’elle définit comme « tout acte ou pratique fondé sur la discrimination entre les sexes dont l’auteur vise à priver la femme ou l’empêcher d’exercer toute activité politique, partisane, associative ou tout droit ou liberté fondamentale ». La loi de 2017 doit servir de base pour intenter des recours en justice. Et ce afin de dénoncer et condamner la violence contre les femmes en politique. »
En somme, elle conclut: « La violence à l’égard des femmes en politique ne doit pas être banalisée et perçue comme un simple fait divers. Elle ne doit pas aussi susciter seulement la mobilisation de mouvements féministes. Les acteurs politiques et les institutions de l’Etat ainsi que la société en général doivent assumer la responsabilité de combattre les pratiques de la violence contre les femmes en politique parce qu’il s’agit de la pire forme de discrimination envers les femmes, un affront à l’égalité et un déni des droits fondamentaux des femmes. Cette violence affaiblit aussi la démocratie et les processus politiques inclusifs.