Avec tous les dossiers brûlants qui s’accumulent sur son bureau (situation sanitaire, Loi de Finances complémentaire pour 2020, LF pour 2021, blocage des activités minières et énergétiques…), le chef du gouvernement s’est trouvé dans la nuit de lundi à mardi forcé de réagir dans l’urgence aux écarts de l’un des ministres qui lui fut imposé.
Le ministre des Affaires Culturelles Walid Zidi, peut-être fort du soutien que lui a manifesté le Président de la République, s’est cru en mesure de s’adonner à des fanfaronnades qui le singularisent au sein de l’équipe gouvernementale. Les fanfaronnades du ministre sont d’autant plus singulières qu’elles ont été déployées sur une chaîne étrangère, « Al Arabya’ » en l’occurrence. De quoi s’agit-il ? L’une des mesures annoncées samedi 3 octobre par le Chef du gouvernement pour lutter contre la propagation de la Covid-19 consiste à interdire « les rassemblements culturels, sportifs, festifs et politiques », et ce, pour une durée de deux semaines. Des artistes, et c’est leur droit, se sont rassemblés à la Cité de la Culture pour protester contre les mesures prises par le Chef du gouvernement.
Face à un tel rassemblement protestataire que doit faire le ministre de tutelle ? Dans un pays qui fonctionne normalement avec un gouvernement formé de membres responsables et compétents, le rôle du ministre est d’expliquer le point de vue du gouvernement dont il fait partie et de déployer ses talents de persuasion pour convaincre les protestataires de la nécessité de respecter la décision gouvernementale.
La question de la solidarité gouvernementale ne se pose même pas. La règle dans tous les gouvernements du monde est que tout membre qui accepte de faire partie d’une équipe gouvernementale est automatiquement solidaire de tous ses collègues et a fortiori du premier d’entre eux.
Arrogance, incompétence, ignorance
Le ministre Walid Zidi a choisi de se placer du côté des protestataires contre le Chef du gouvernement avec qui il travaille. Son attitude est un mélange d’arrogance, d’incompétence et d’ignorance des règles de base du fonctionnement gouvernemental.
Ecoutons-le : « Qui a dit que nous allons suspendre les représentations ?… Le ministère de la Culture a-t-il publié un communiqué dans ce sens ? (…) Nous n’allons pas fermer les espaces culturels. Je n’ai rien signé dans ce sens et je ne le ferai pas. Le ministère de la Culture n’est pas le bureau d’exécution des communiqués du gouvernement. »
Que doit faire le Chef du gouvernement face à tant d’insolence et face à un tel mépris de la solidarité gouvernementale exprimés devant les caméras d’une télévision étrangère sinon limoger ce membre indiscipliné de son équipe ?
C’est ce qui arrive quand on échoue de choisir l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Force est de constater que M. Walid Zidi n’était pas à sa place. Et ce n’est pas parce qu’il est malvoyant qu’il est interdit de dire qu’il n’a pas l’étoffe d’assumer le poste hautement important de ministre de la Culture.
En commettant une si grave faute, M. Walid Zidi met dans l’embarras son mentor Kais Saied. Rappelons-nous les éloges un peu trop excessifs faits par le Président de la République le jour où il l’a reçu au Palais de Carthage avec l’idée de l’imposer au Chef du gouvernement. Celui-ci était alors à la recherche d’un remplaçant après que M. Zidi a décliné l’offre, avant de changer d’avis.
Mais cet embrouillamini aurait-il eu lieu sans l’interférence du Président de la République dans les prérogatives du Chef du gouvernement ? La Constitution est claire : le Président de la République n’a droit qu’à deux nominations de ministres (la Défense et les Affaires étrangères). Par conséquent, son accueil le 24 août de M. Zidi et les lauriers qu’il lui a tressés étaient hors sujet. Hors Constitution.
Triplement condamnable
Plus grave encore était l’interférence du Président de la République à la suite des rumeurs qui ont circulé autour de la nomination par le Chef du gouvernement de MM. Taoufik Baccar et Mongi Safra aux postes de conseillers à la Kasbah.
La réaction quasi-hystérique de Kais Saied est triplement condamnable : tout d’abord un président de la République ne réagit pas sur la base de rumeurs, mais d’informations officielles et sûres ; ensuite un président de la République ne peut pas se permettre de lancer de graves accusations contre des personnes innocentes, MM. Baccar et Safra ne faisant l’objet d’aucune poursuite judiciaire. Enfin, et à supposer que M. Mechichi ait effectivement et officiellement nommé MM. Baccar et Safra, deux valeurs sûres et deux compétences indiscutables, en quoi cela concerne le Président de la République ?
M. Mechichi s’est abstenu de nommer MM. Baccar et Safra dans son cabinet. Son unique motivation est d’éviter une confrontation avec le Président de la République. On peut le comprendre. Mais peut-on comprendre le Président de la République, qui a enseigné le droit constitutionnel et juré la main sur le Coran de respecter la Constitution, de se comporter comme si cette Constitution n’existe pas ? Peut-on accepter du gardien de la Constitution et de son protecteur d’être le premier à la transgresser en ne respectant pas les limites de son pouvoir, pourtant clairement détaillées dans le texte constitutionnel ?
Le Président de la République est le garant de l’unité du peuple et du respect de la Constitution. Après un an d’exercice du pouvoir, M. Kais Saied n’a rien fait d’autre que diviser le peuple par des discours incendiaires et démagogiques, et transgresser la Constitution par sa propension à interférer dans les prérogatives du Chef du gouvernement.